La victoire de l’état de droit

Nicolas Zomersztajn
En rendant un arrêt dans lequel elle a retenu le caractère terroriste et antisémite du quadruple assassinat commis par Mehdi Nemmouche au Musée juif de Belgique, la Cour d’assises a montré qu’elle est capable de faire coïncider vérité judiciaire et réalité des faits. De cette manière, cette juridiction renforce l’Etat de droit.
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Depuis de nombreuses années, adversaires et partisans de la Cour d’assises s’affrontent sur l’existence de cette juridiction composée de trois magistrats et d’un jury populaire de 12 citoyens. Pour de nombreux observateurs, le procès de l’attentat du Musée juif de Belgique se présentait comme un test pour la Cour d’assises : serait-elle à la hauteur des enjeux ? A l’unanimité, tout le monde s’accorde pour saluer le travail accompli, ainsi que le verdict du procès. Mehdi Nemmouche et Nacer Bendrer sont reconnus coupables et l’arrêt de la Cour d’assises estime qu’ils ont « commis cet attentat pour intimider gravement la population, plus particulièrement la communauté juive, et porter gravement atteinte à la Belgique ».

La motivation de l’arrêt de la Cour d’assises, obligatoire depuis 2016, apparaît également comme une garantie permettant de mieux suivre son raisonnement lorsqu’elle rend sa décision. Elle ne peut donc plus se contenter de répondre par oui ou par non sur la culpabilité de l’accusé, mais doit motiver son arrêt, c’est-à-dire expliquer les raisons pour lesquelles elle a été amenée à rendre un verdict de culpabilité.

L’oralité des débats

En raison des nombreuses preuves matérielles établissant la culpabilité de Mehdi Nemmouche, ce procès n’a pas été le théâtre d’un affrontement entre la vérité judiciaire et la réalité. Pour Me Michèle Hirsch, avocate du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), c’est surtout grâce à la procédure particulière en vigueur à la Cour d’assises qu’on a pu établir la réalité du crime commis par Mehdi Nemmouche. « L’oralité des débats, qui implique qu’on recommence l’instruction devant les jurés, a substantiellement modifié la perception de ce dossier », insiste Me Michèle Hirsch. « Deux instructions ont été menées simultanément : la première en Belgique suite à l’attentat au Musée juif qui, dès le départ, a privilégié la thèse du loup solitaire et la seconde en France, relative à l’implication de Medhi Nemmouche comme geôlier des otages français en Syrie au sein de l’Etat islamique au Levant ».

Durant l’enquête et le procès, Me Hirsch s’est donc attachée à faire apparaître que Mehdi Nemmouche était « un loup parmi les loups » et que l’attentat au Musée juif était le premier attentat de l’Etat islamique en Europe annonciateur des attentats de Paris (novembre 2015) et de Bruxelles (mars 2016). « Les témoignages des otages français devant la Cour d’assises ont probablement été déterminants, même si dans sa motivation la cour ne s’y réfère pas. Durant l’enquête, nous avions beaucoup insisté et finalement obtenu que les témoignages des otages français soient joints au dossier », précise Me Hirsch. « Dans leurs témoignages, devant la cour, les journalistes ont dit le rôle de Mehdi Nemmouche lors de leur détention en Syrie. Ils ont parlé de sa violence, de son sadisme, des tortures qu’il infligeait aux prisonniers syriens, de sa personnalité, de son antisémitisme et de son extrême dangerosité. Ces témoignages ont constitué un véritable tournant dans le procès ».

Les débats devant la Cour d’assises ont donc eu le mérite d’écarter la thèse du loup solitaire. « Je ne pense pas que les débats devant un Tribunal correctionnel auraient permis de faire apparaître ce contexte historique du terrorisme et la personnalité de Medhi Nemmouche», observe Me Hirsch. « Ce n’est que grâce à l’oralité des débats de la Cour d’assises que cela a pu émerger de cette manière. Les témoins parlent devant la cour, ils disent ce qu’ils ont vu ou entendu, les experts développent leur expertise, les juges d’instruction et les enquêteurs expliquent les devoirs d’enquête, etc. Et s’ensuivent des questions. Devant un Tribunal correctionnel, en règle générale, aucun témoin n’est entendu, il n’y a pas d’experts. Les juges se basent sur les pièces du dossier répressif ».

Un loup faisant partie de la meute

Ainsi, le rôle réel de Mehdi Nemmouche comme djihadiste de l’Etat islamique pour commettre un attentat à Bruxelles a pu être mis en avant. Et s’il a conservé le silence pendant toutes ces années, c’est probablement pour couvrir le rôle des autres djihadistes de la filière. Dans un ordinateur abandonné par les kamikazes des attentats de Bruxelles en 2016, les enquêteurs ont découvert des conversations terrifiantes enregistrées entre les djihadistes en Belgique et l’Emir en Syrie. « En 2016, quatre semaines avant les attentats, les djihadistes avaient trois plans : l’Euro 2016 de football à Paris, un attentat sur des trains et  l’enlèvement de personnalités pour les échanger contre des détenus. Et dans ce dernier plan, ils nomment explicitement « le frère qui a bien travaillé » Mehdi Nemmouche », a plaidé Me Hirsch. Ces plans ont été modifiés suite à l’arrestation de Salah Abdelslam en 2016. Les kamikazes vont choisir de « travailler » immédiatement et de faire le plus de victimes possible, ils choisissent l’utilisation d’explosifs. Les armes qu’ils n’avaient pas utilisées étaient destinées aux « frères qui vont travailler » après eux. Ils ont même suggéré à l’Emir en Syrie de remettre l’argent qu’ils possédaient encore à la disposition des djihadistes en détention, en nommant explicitement Mehdi Nemmouche dont ils font leur digne héritier. « Mehdi Nemmouche est bien un loup faisant partie de cette meute de djihadistes belges et français de l’Etat islamique », conclut Me Hirsch.

La Cour d’assises a reconnu le caractère terroriste du crime commis par Mehdi Nemmouche, mais elle a aussi retenu le caractère antisémite de son crime, en soulignant que la communauté juive était particulièrement visée. Cette précision supplémentaire est d’autant plus intéressante que la loi ne prévoit pas que les jurés doivent préciser qu’il s’agit d’un attentat antisémite. Dans l’assassinat commis dans un contexte terroriste, l’antisémitisme ne constitue pas une circonstance particulière du crime. « Nous espérions que la Cour d’assises mentionne le caractère antisémite de l’attentat au Musée juif », détaille Me Hirsch. « Et elle l’a fait ».

Dans le contexte actuel de remise en cause des institutions démocratiques et de critiques virulentes des corps intermédiaires, l’arrêt de la Cour d’assises est accueilli avec une certaine satisfaction. En faisant sereinement son travail en dépit des tentatives pathétiques de l’avocat de Mehdi Nemmouche de distiller sa haine du « système » et ses thèses complotistes, la Cour d’assises a fait œuvre de justice et a contribué à l’établissement de la vérité. Les médias ont également parfaitement joué leur rôle dans le débat démocratique posé par ce procès. Grâce au travail critique qu’ils ont mené, ils ont démonté les unes après les autres les affirmations haineuses et complotistes de l’avocat de Mehdi Nemmouche. « La justice est la réponse de la démocratie au terrorisme. Nous en avons eu la preuve par l’arrêt qui vient d’être prononcé », considère Me Hirsch.

Le tribunal est le lieu du débat

Si d’aucuns estiment qu’il est peut-être exagéré de parler de victoire de la démocratie, tout le monde s’accorde pour reconnaître que c’est surtout l’Etat de droit qui en sort victorieux. « C’est une victoire de l’Etat de droit », fait remarquer Guy Haarscher, philosophe et professeur émérite de l’ULB. « La justice et les médias ont réussi à faire la distinction entre des faits établis et des fantasmesCe procès illustre bien ce que le juriste et philosophe Chaïm Perelman expliquait quand il disait que le tribunal est le vrai lieu du débat où les faits sont discutés en étant analysés sous toutes leurs coutures. Grâce à la procédure judiciaire de la Cour d’assises, il est difficile d’introduire des thèses complotistes. Il y a des experts, des témoins, des plaidoiries, des répliques… autant de mécanismes et d’intervenants qui ont le mérite d’évacuer les rumeurs, les mensonges et les fantasmes complotistes ».

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le pouvoir judiciaire concentre aujourd’hui toutes les haines des ennemis de la démocratie libérale et de l’Etat de droit, avec d’un côté les djihadistes qui veulent les détruire par la violence armée, et de l’autre les populistes comme Orban et Salvini qui veulent supprimer toutes les institutions garantes de leur bon fonctionnement. Avec ce procès, l’Etat de droit a remporté une victoire, mais n’a pas vaincu définitivement ses ennemis qui n’ont pas déposé les armes. C’est donc une victoire, mais une victoire partielle.

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