Les pensions allemandes de la honte

Nicolas Zomersztajn
Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, la République fédérale d’Allemagne verse depuis 1950 des pensions à d’anciens collaborateurs belges et européens ayant servi dans la Waffen SS ou d’autres unités du 3e Reich. Pour qu’elle puisse poursuivre son travail de mémoire, l’Allemagne doit faire toute la clarté sur cette question et mettre fin à ces pensions honteuses et indues.
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Alors que la Belgique a fêté le 75e anniversaire de sa libération par les armées alliées, l’ombre des dizaines de milliers de Belges (Flamands et wallons) engagés volontaires dans la Waffen SS a plané sur ces célébrations. Cette ombre suscite la consternation et la colère côté belge, l’embarras et la gêne côté allemand. Car depuis l’adoption en 1950 de la loi sur « l’assistance aux victimes de guerre », intitulée « Bundesversorgungsgesetz » (BVG), l’Allemagne octroie des pensions et des allocations à d’anciens collaborateurs militaires belges du 3e Reich, majoritairement des combattants de la Waffen SS.

Et même lorsqu’en 1998, le Bundestag a décidé d’amender la loi BVG de 1950 afin d’exclure tout bénéficiaire qui aurait violé « les principes d’humanité ou l’Etat de droit » sous le régime nazi, les autorités allemandes ont continué de verser ces pensions à ces anciens combattants belges, mais aussi d’autres pays occupés par l’Allemagne nazie.

Fin des années 1990, le sénateur socialiste flamand Fred Erdman s’indigne de cette situation scandaleuse en interpellant le 9 janvier 1997 le ministre belge de la Santé publique et des Pensions. Deux décennies plus tard, deux associations belges, Pour la mémoire, pour l’avenir et le Groupe Mémoire, poursuivent ce combat en documentant cette question, en sensibilisant l’opinion publique et en interpellant le monde politique. Grâce aux recherches que leurs membres ont menées dans les revues de groupuscules flamands d’extrême droite comme Berkenkruis, elles ont réussi à établir l’existence d’un véritable « secrétariat social » accompagnant les anciens collaborateurs dans leurs démarches pour obtenir ces pensions allemandes. L’ancien député Volksunie (ancêtre de la N-VA) Willy Kuijpers s’était même spécialisé dans la confection des dossiers.

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L’Allemagne freine

Bien qu’embarrassée par cette affaire qui ternit son image de démocratie irréprochable, l’Allemagne freine des quatre fers : elle refuse de communiquer les noms des bénéficiaires de ces pensions ainsi que les montants versés. Il faut attendre le 22 décembre 2016 pour qu’un premier acte politique soit posé au Parlement belge. Les députés fédéraux Olivier Maingain, Stéphane Crusnière, Daniel Senesael et Véronique Caprasse déposent une proposition de résolution visant à clarifier et à abroger ce régime de pensions octroyées à ces collaborateurs. Cette proposition de résolution demande au gouvernement belge de requérir auprès des autorités fédérales et de celles de la Rhénanie du Nord-Westphalie, responsables de la gestion administrative des dossiers belges, de lui transmettre la liste des bénéficiaires de ces pensions ainsi que les montants de celles-ci ; d’exiger du gouvernement allemand la fin de ces régimes de pensions octroyés aux collaborateurs belges et enfin, de constituer une commission scientifique qui fera toute la lumière sur cette problématique.

Auditionné le 28 mars 2017 par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, l’ambassadeur d’Allemagne se réfugie derrière la législation sur le respect de la vie privée qui empêche les autorités allemandes de transmettre et de divulguer les noms. Mais durant cette audition, il lâche malgré tout qu’il existe 27 dossiers belges concernant ce type de pensions ! Il s’empresse d’ajouter que les criminels ayant violé les principes d’humanité ou l’Etat de droit ne peuvent en bénéficier. Ce qui laisse tout le monde perplexe. Il ne fait aucun doute que l’Allemagne a octroyé ces pensions à d’anciens collaborateurs. « S’ils ont reconnu implicitement que des Waffen SS belges ont bénéficié de ces pensions, les Allemands n’acceptent toujours pas de communiquer la liste des bénéficiaires », déplore Olivier Maingain, ancien député fédéral et président de DéFi. « Or, il ne s’agit nullement de porter atteinte à la vie privée de personnes encore en vie, mais de faire un travail de mémoire en reconstituant un fait historique. Si les autorités allemandes estiment qu’elles ne sont pas en mesure de le faire elles-mêmes, alors nous proposons la constitution d’un groupe de travail mixte d’experts et d’historiens belges et allemands pour dresser un tableau qui soit le plus précis. Mais même cette dernière proposition pourtant raisonnable est encore rejetée par les Allemands qui nous disent que c’est trop compliqué en raison de la complexité du système d’archives en vigueur en Allemagne. En clair, ils ne veulent pas avancer dans ce dossier ».

Une mission parlementaire belge a malgré tout pu se rendre à Berlin en juin 2018 pour faire un rapport. Mais les résultats sont maigres. « Si cette mission n’a rien obtenu de concret de la part des autorités allemandes, elle a pu nouer des contacts avec des parlementaires allemands de gauche (Die Linke) stupéfaits d’apprendre que l’Etat allemand a pu verser pendant des années des pensions à d’anciens collaborateurs du 3e Reich », note Olivier Maingain. « Outrés, ces députés Die Linke ont dès lors décidé d’ouvrir le débat au Bundestag et d’interpeller le gouvernement fédéral ».

Situation opaque

La chute du gouvernement Michel 1er et le départ de la N-VA, résolument opposée aux travaux de la Commission des Affaires étrangères sur cette question, a permis de débloquer la situation. Un consensus s’est dégagé pour adopter cette résolution. Et étonnamment, à l’exception de la N-VA et du Vlaams Belang, tous les partis flamands l’ont votée. « Cela donne un autre relief au débat », constate Olivier Maingain. « La presse s’est alors intéressée à cette problématique et la pression internationale s’est intensifiée, si bien que d’autres Etats concernés par le problème ont également commencé à demander des comptes à l’Allemagne qui fait le gros dos ». Peu convaincue par les explications allemandes, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre française des Armées, hausse le ton : « Je n’aime pas les situations opaques. Les réponses administratives ne me suffisent plus. Il faut désormais des explications précises des autorités politiques allemandes pour que nous puissions nous faire une opinion définitive sur les bénéficiaires de ces prestations ».

Sortir de cette impasse prendra du temps, car les autorités allemandes ne bougeront pas spontanément. A partir du cas belge, les autorités craignent d’être face à un processus en cascade d’une ampleur énorme. « Plutôt que d’exposer publiquement les autorités allemandes, il me semble raisonnable de confier à une commission d’experts le soin de faire la clarté sur cette question », suggère Olivier Maingain. « Avec cette solution, le gouvernement allemand aura au moins le sentiment de ne pas se sentir le dos au mur. L’idée n’étant d’accuser les autorités allemandes, mais de faire œuvre d’histoire et de mémoire ». L’implication de responsables politiques allemands est également une piste à ne pas négliger. Les députés du parti Die Linke sont à la pointe de ce combat. « Ce sont surtout les députés Die Linke qui ont abattu un travail remarquable », confirme le Docteur Yves Louis, président du Groupe Mémoire. « Même si certains d’entre eux sont radicaux dans le soutien aux Palestiniens, ils sont irréprochables sur cette question de pensions. J’avais pourtant contacté des députés socio-démocrates (SPD) plutôt pro-israéliens, mais ils n’ont jamais donné de suite à nos demandes ».

Contexte de Guerre froide

Une question demeure : pourquoi l’Allemagne fédérale dont l’identité politique est aux antipodes du régime nazi a-t-elle octroyé des pensions à des collaborateurs ayant servi dans la Waffen SS ? C’est au nom du principe de la continuité juridique de l’Etat que la République fédérale a assumé les engagements pris par le régime nazi d’accorder un statut à ceux qui collaborent avec le 3e Reich. Et comme l’appareil d’Etat de la nouvelle Allemagne était largement composé de fonctionnaires ayant servi sous le 3e Reich, personne n’a contesté le versement de pensions à d’anciens criminels de guerre. Et cette volonté tatillonne d’assurer la continuité de l’Etat dans ce dossier s’explique aussi par le contexte de Guerre froide et son corollaire : l’abandon précoce du processus de dénazification de l’Allemagne. La présence d’un nombre considérable d’anciens nazis dans l’appareil étatique de la nouvelle Allemagne a inévitablement permis de soutenir financièrement ceux qui ont défendu par les armes l’Allemagne nazie contre le communisme entre 1941 et 1945. L’ennemi du monde libre étant l’URSS, autant ménager tous ces combattants SS, qu’ils soient allemands, belges, français, néerlandais, etc.

Même s’il ne reste plus que 18 bénéficiaires belges de ces pensions allemandes et qu’ils vont probablement être encore moins dans les mois à venir, l’Allemagne doit mettre un terme à cette anomalie ; il s’agit d’une question de principe. Que d’anciens collaborateurs belges des nazis bénéficient d’une reconnaissance et de pensions d’Allemagne, c’est perpétuer la honte de la Collaboration et insulter la mémoire des victimes du nazisme. C’est même pire. En leur versant une pension, l’Allemagne remet non seulement en cause le remarquable travail de mémoire qu’elle a accompli depuis la fin des années 1960, mais elle exonère et récompense des criminels n’ayant jamais reconnu leur faute ni exprimé le moindre remord.

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