Coronavirus : quel impact sur la culture ?

Perla Brener
Les faits. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a débloqué 8,4 millions d’euros pour couvrir les annulations de spectacles et autres pertes liées à la crise du coronavirus dans le domaine culturel. Sans beaucoup de précisions. Les contrats seront-ils honorés ? La nouvelle saison pourra-t-elle reprendre ? A quand de nouveau les salles de théâtre et de cinéma bondées ? Quid de la réouverture des Musées ? Le secteur culturel nage en pleine incertitude et les inquiétudes sont réelles. Plusieurs acteurs de terrain, en première ligne, nous donnent un aperçu de leur situation.
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La directrice du Théâtre de la Toison d’Or (TTO), Nathalie Uffner, ne mâche pas ses mots : « Nous sommes en danger », affirme-t-elle, « car nous ne pouvons compter que sur très peu de subventions, un peu plus de 200.000 euros, soit l’équivalent de ce que perçoit une compagnie théâtrale qui n’aurait pas de frais fixes et une programmation d’un ou deux spectacles par an. Or nous avons toute une saison à couvrir ! 65% de nos recettes proviennent de la billetterie… ». Ce n’est pas pour maintenant, mais bien pour l’avenir que s’inquiète la directrice : « Il y a de nombreuses inconnues, dont le montant des indemnisations », relève Nathalie Uffner après six semaines de confinement. « Les gens reviendront-ils au théâtre en masse ? Nous imposera-t-on de ne placer les spectateurs qu’un siège sur deux ? Ce serait compréhensible tant qu’il n’y a pas de vaccin, mais pour nous dramatique ! » La pièce de Myriam Leroy, ADN, a dû être arrêtée en plein vol et sera reportée, comme les spectacles d’Alex Vizorek ou de Marc Moulin. La nouvelle saison a déjà été revue pour être plus légère. Très soutenu et encouragé par son public, le TTO n’a pour l’instant pas prévu d’alternatives à ses spectacles live pendant le confinement. « Le monde n’était pas prêt à cette pandémie », rappelle Nathalie Uffner. « Si notre gouvernement n’a pas été capable d’anticiper en préparant des masques, on ne peut pas nous demander à nous d’être plus réactifs ! ».

 

 

Au Théâtre Le Public, les subventions représentent 40% de la totalité du chiffre, 60% étant constitués par les recettes propres, entrées des spectateurs et Tax Shelter. « Le risque est que nos spectateurs ne se réabonnent pas », s’inquiète le directeur Michel Kacenelenbogen. « Quant au Tax Shelter, il dépend du bénéfice des sociétés, or on ne sait pas du tout comment leurs activités vont redémarrerLorsque les subventions sont supérieures aux coûts fixes, c’est différent. Ici, ce qui fait notre force en temps normal, notre autonomie, devient notre fragilité. Plus on est assisté par l’Etat, moins on est bien sûr mis en péril », relève-t-il. Si 70 personnes travaillant pour le théâtre ont été mises en chômage technique, laissant une petite équipe en télétravail pour informer les demandeurs, la plupart des spectacles seront reportés. « Je ne pense pas que les gens retourneront au théâtre avant qu’il y ait un vaccin », affirme Michel Kacenelenbogen. « D’ici là, j’espère que sur nos 12.000 abonnés, la solidarité jouera. On espère que les gens se réabonneront sans savoir quand ils pourront revenir, comme lorsqu’on prévoit un budget vacances sans savoir quand on partira. Le secteur non marchand n’est malheureusement pas organisé pour faire des réserves et souffrira plus fortement de la crise, comme lors de la crise économique de 2008 ». En attendant de voir la fin du confinement, Le Public a voulu maintenir le lien avec les spectateurs en diffusant pour la première fois des entretiens de ses invités qui se sont déroulés au théâtre. Certains spectacles captés devraient également être proposés.

 

 

Le comédien Sam Touzani est de ces artistes qui s’autoproduisent, avec les conséquences qu’il nous précise : « 90% de mes spectacles ne sont pas reportés, mais tout simplement annulés », déplore celui qui se trouvait en pleine tournée de son nouveau Cerise sur le ghetto, avec plusieurs représentations déjà sold-out et un succès évident auprès des publics scolaires notamment. « Quand le confinement a été décidé, je jouais depuis une semaine, matin et soir, à l’Espace Magh, soit 800 spectateurs par jour ! » Le comédien a vu ainsi une petite dizaine de spectacles annulés, sans compter le manque à gagner, avec l’impossibilité d’un éventuel travail de production. « Je travaille généralement avec un an et demi d’avance. C’est perdu, si ce n’est pas presté, et le confinement fait que je ne peux pas non plus m’avancer. Comment rétablir la confiance auprès du public quand, pendant un mois, on lui a demandé de rester chez lui ? », s’interroge Sam Touzani. « On sait que la culture vient après que les gens aient du travail et le ventre rempli… L’après-corona sera difficile, car il y aura un temps d’adaptation, un temps de relance, un temps de reprise de confiance. Beaucoup de petites compagnies risquent de fermer ». Le comédien n’en reste pas moins persuadé que les artistes sauront rebondir, « parce qu’ils ont l’habitude de la précarité ». Et de rappeler que si la culture est depuis toujours le parent pauvre, elle est une nécessité : « La science permet de guérir, et la culture d’en rire. Elle permet de prendre la distance nécessaire avec notre condition d’homme destiné à mourir. La crise du corona nous aura fait revenir à l’essentiel. Il y aura un avant et un après, avec sans aucun doute un repositionnement des valeurs, des priorités, et des bonnes leçons à en tirer. La catastrophe, à nos portes, appelle aussi à la créativité. Elle fait augmenter nos consciences. Dommage qu’il faille un drame pour y arriver ». Cerise sur le ghetto aura peut-être été visionnaire en se posant cette question : « Comment peut-on savoir si quelqu’un va bien ou mal ? A sa façon de réagir à ce qui survient ».

 

 

Président du Musée juif de Belgique, Philippe Blondin est lucide : « Nous vivons l’impensable, heureusement la culture est un merveilleux outil pour réinventer une société nouvelle », rappelle-t-il. « Notre premier axe d’activité est notre exposition permanente et nos workshops pour les jeunes. Notre investissement dans ce domaine pour attirer les écoles a été significatif. Aujourd’hui, ce travail est réduit en cendre. Le second axe est notre exposition temporaire que nous ne prolongerons pas. Suprême ironie du destin : “Superheroes Never Die” retrouvent leur sommeil. Il faudra rétablir rapidement le lien privilégié que nous avons avec les jeunes en demandant à nos éducateurs d’adapter leurs discours aux circonstances. En effet, ces jeunes ont vu leur année académique bouleversée et beaucoup d’entre eux ont vécu, ce qui nous saute à la gorge, l’anxiété, la douleur, les inégalités sociales ». Les projets toutefois demeurent et Philippe Blondin veut rester positif : « Nous préparons pour octobre une nouvelle exposition temporaire qui, je suis certain, étonnera notre public ! Toute l’équipe du musée, avec amour et avec leur cœur, est en réflexion pour faire face à de nouveaux défis et réviser nos échelles de valeurs. Je le rappelle, le rôle d’un musée, de notre musée, est de contribuer à façonner le futur ».

Le gouvernement aura fort à faire pour rassurer un secteur culturel qui demeure trop souvent, comme beaucoup le rappellent, le parent pauvre. Comment, par ailleurs, redonner confiance et l’envie à la population de fréquenter des lieux animés sans craindre d’être contaminée ? De nombreuses institutions ont fait le choix de maintenir certaines activités en les adaptant au confinement. C’est le cas du CCLJ qui organisait son Seder de Pessah le 8 avril dernier en entrant dans les foyers, via écran interposé, de quelque 265 familles ! Des conférences de centres culturels, visites virtuelles de musées, des entretiens filmés sont également largement diffusés. D’autres envisagent toutes les pistes pour retrouver une normalité qui tarde à venir. Il faudra inévitablement du temps et tous en sont conscients. En espérant que les dégâts constatés seront pris en considération et compensés. Pour donner la chance au secteur culturel de redémarrer avec un maximum de sérénité.
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