Islamo-gauchistes, non mais !

Joel Kotek
J’ai toujours été réticent à utiliser le concept d’islamo-gauchisme, et ce, non pas parce qu’il serait d’extrême droite (ce qui est faux), mais par peur de subir les conséquences de son usage. Formé intellectuellement en France, pays qui use et abuse de la polémique, je me suis retrouvé à devoir penser (si peu) et écrire (un rien davantage) dans un pays où tout est lisse et consensuel, où toute pensée hors norme vous fait passer pour facho ou pire encore… libéral.
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Les débats matinaux de la Première Radio sous la houlette du sympa et éloquent François Heureux, constituent l’exemple même de cette pensée molle dont se régalent mes compatriotes pour « opposer » des experts qui partagent plus qu’à souhait les mêmes idées, les mêmes rêves et les mêmes indignations. Cet entre-soi, éminemment convenu et rassurant est, osons l’avouer, un rien lassant. Vous comprendrez dès lors sans peine ma réticence à utiliser certains termes et concepts, sachant qu’un récent éditorial, visant pourtant la mémoire de la Collaboration, m’a valu pas mal d’ennuis en haut lieu. Bref, dans ces conditions, l’usage d’un concept aussi peu belge et sympa qu’islamo-gauchiste paraît risqué, sinon suicidaire, au-delà d’une réelle valeur heuristique. Pour rappel, on doit ce concept au philosophe des idées Pierre-André Taguieff qui l’a, sinon inventé, en tout cas popularisé en langue française pour désigner l’étonnant rapprochement entre les ambitions révolutionnaires de certains mouvements marxistes et des mouvances islamistes, dont le théoricien fut le dirigeant trotskyste britannique Chris Harman. Pour ce qui le concerne, le philosophe et professeur à la Sorbonne, Pierre-Henri Tavoillot, met en avant, trois idées-forces pour définir l’islamo-gauchisme : 1) l’Islam est la religion des opprimés, cela signifie que même pour un athée, la défense de cette religion des nouveaux damnés de la terre doit primer sur toutes les autres causes, dont celle de la laïcité. 2) L’Islam des opprimés produit cette force révolutionnaire qu’a définitivement abandonnée la classe ouvrière blanche ; d’où cet impératif de soutenir et donc importer cette force révolutionnaire pour faire la révolution. 3) Quand bien même les attentats terroristes seraient de terribles tueries, ils n’en sont pas moins, qu’on le veuille ou non, des formes de la légitime défense contre la férocité blanche. L’islamo-gauchisme moderne serait ainsi l’expression d’une alliance entre une gauche dévoyée, ayant oublié depuis belle lurette que la religion est l’opium du peuple (cf. Moses Hess) et les nouveaux « opprimés » que constituent à ses yeux les masses musulmanes, nouveau prolétariat fantasmatique. Voilà qui est dit et pas par moi, principe de précaution oblige, sauf qu’au-delà des hystéries qu’il suscite, ce concept paraît un rien utile pour décrypter certains messages cachés. Prenez, par exemple, la toute récente interview accordée au journal Le Soir par la bourgmestre de Molenbeek, et plus encore les questions et commentaires de ses interviewers. Qu’essaye-t-on, de nous vendre, en filigrane, sinon que les vraies victimes des attentats de Bruxelles de mars 2016 seraient les … Molenbeekois ! Extraits choisis :

« – Cinq ans, c’est long et court à la fois dans pareille épreuve ?

– La déflagration des attentats de Paris et de Bruxelles a provoqué une stupéfaction et ensuite, assez vite, un très fort ressenti d’injustice. On peut parler aussi de stigmatisation. Malheureusement, cette déflagration-là (SIC) a été extrêmement lourde, c’est une blessure très profonde. Les cinq ans permettent de prendre de la distance, de relever la tête (…) »

– Vous évoquez une blessure très profonde… Comment est-ce qu’on soigne ça ?

– D’abord la population elle-même, de manière remarquable, a dû travailler sa résilience. Et elle n’a compté que sur elle-même sur ce coup-là. C’est très fort. (…)

– Voici cinq ans, on pointait l’existence, sur le territoire molenbeekois, d’associations religieuses comme foyers de radicalisation. Ont-elles toutes disparu ?

– … les autorités religieuses sont d’un appui considérable et certainement dans la pandémie covid, c’était très important de pouvoir compter sur les discours et la responsabilité des autorités religieuses. Aujourd’hui je ne perçois pas le terrain de la religion qui a pignon sur rue comme un terrain de religion problématique, c’est-à-dire un terrain de radicalisation d’une confession ou d’une autre (…) ».

Passe encore que Madame Moureaux pose tous les Molenbeekois, dans un souci qu’on espère purement électoraliste, en victimes des attentats terroristes (« Il faudra que les Belges ne soient pas trop « cons », permettez-moi l’expression, pour aller réexpliquer cette théorie absurde selon laquelle tout venait de Belgique, ça n’a pas de sens »), mais que cette vulgate soit avalée toute crue par des journalistes assurément chevronnés a de quoi interroger le concept d’islamo-gauchisme. Voici le commentaire d’analyse des deux journalistes ayant réalisé l’entretien : « Pas le temps pour l’esprit de revanche ni pour pleurer sur le sort de ses concitoyens. Depuis qu’elle a repris les commandes de la commune en 2018, Catherine Moureaux assure que sa priorité n’a pas été de ressasser le passé et les événements de novembre 2015 et mars 2016 qui ont fait tant de mal à la réputation de Molenbeek (…) Pas d’esprit de revanche, donc. Mais un pardon qui reste malgré tout difficile à accorder à ceux qui ont, dit-elle, fait du mal à sa commune. »

« Pas d’esprit de revanche », donc. Ouf, les rescapés des attentats de Bruxelles sont rassurés ! Faut-il s’en étonner, l’article-fleuve n’évoque pas toutes les « autres » victimes des attentats terroristes, celles du métro Maelbeek, de Zaventem, du Bataclan ou encore du Musée juif. J’écris bien les « autres » et non les « vraies » victimes pour ne pas risquer d’être remis à l’ordre, sinon carrément dénoncé par le Grand Inquisiteur Henri Goldman. Paix sur Toi, Homme doré, Coryphée (multicolore) de la Pensée saine et juste.

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