Juifs Israéliens et de diaspora, une communauté de destin

Nicolas Zomersztajn
Emmanuel Nahshon, ambassadeur d’Israël en Belgique, et Benjamin Beeckmans, président du CCLJ, ont accepté de confronter leurs points de vue sur l’identité juive et les liens entre Israël et les Juifs de diaspora. Un débat franc et serein qui a le mérite de faire apparaître des sensibilités et des préoccupations parfois différentes, mais surtout de souligner l’importance du dialogue entre Israéliens et Juifs de diaspora.
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Vous êtes tous les deux juifs. L’un est ambassadeur d’Israël et l’autre préside une institution juive en diaspora. Comment envisagez-vous votre identité juive ?

Emmanuel Nahshon A titre personnel, cette question est particulière. Je suis né en France et quand je suis arrivé en Israël alors que j’étais un enfant, la quête de l’identité israélienne était ma priorité. Très vite, cette identité israélienne m’a beaucoup plu parce qu’elle correspond à des aspects profonds de ma personnalité. Toutefois, je n’ai pas évacué mon identité juive. Pour ma part, cette identité n’est en rien exclusive. Toute personne qui s’identifie au judaïsme d’une manière ou d’une autre fait partie de cette famille qu’on appelle le peuple juif. Etre juif, ce n’est donc pas seulement se référer à une religion. C’est aussi appartenir à un peuple ayant une création nationale juive : Israël. Et ce qui caractérise surtout mon identité juive, c’est la langue : l’hébreu. Cette langue me relie quotidiennement à la tradition juive dans la mesure où c’est la parole en hébreu qui a créé le monde. Quant à mon lien avec les Juifs de diaspora, ils sont mes frères et mes sœurs avec lesquels je partage une communauté de destin. Mais j’entretiens aussi un rapport de fraternité avec mes compatriotes israéliens juifs et non-juifs.

Benjamin Beeckmans Ma perspective est différente de celle d’Emmanuel Nahshon. Je suis né en Belgique au sein d’un couple mixte. Ma mère est juive, mon père ne l’est pas. Elle est issue d’une famille où il y a eu des rabbins et des communistes. Concernant le rapport à la langue que vous évoquez, la première langue juive que j’ai entendue, c’est le yiddish parlé par mes grands-parents. A la fois langue du secret pour que je ne comprenne pas ce qu’ils disent mais aussi langue des sentiments affectueux lorsqu’ils voulaient les exprimer. Quant à l’hébreu, c’est une langue que j’ai apprise à l’école. Et le lien avec Israël, il s’est forgé plus tard notamment lorsque j’ai fréquenté le mouvement de jeunesse en découvrant le sionisme. Et enfin, il y a aussi le poids de la Shoah. Dans notre famille, la judéité est très idéologique. Très vite, mon identité juive s’est ancrée à un engagement moral et politique. Ce qui signifie que notre histoire et notre tradition nous obligent à nous engager envers l’Autre et à agir au sein de la communauté juive mais aussi au sein de la société. C’est seulement plus tard qu’est apparu un aspect essentiel : le plaisir. Oui, le plaisir d’être juif. Il y a certes des épisodes terribles dans notre histoire mais nous avons toujours réussi à trouver de l’espoir, de la lumière ou même de l’humour pour surmonter ces épreuves terribles. Notre tradition regorge de trésors extraordinaires qui nous permettent d’être fidèles à notre histoire tout en étant ouvert sur l’Autre en recherchant ce qui nous rassemble. C’est pourquoi mon identité juive est synonyme de militantisme, d’engagement et d’ouverture sur l’Autre. Je mène des combats en tant que Juif en veillant toujours à porter un message universaliste.

Cette conception de l’identité juive n’est-elle pas une illustration du concept de « phare des nations » (Or LaGoyim) forgée par David Ben Gourion ?

E. Nahshon Certainement. Le concept de « Or LaGoyim » est essentiel pour comprendre comment nous nous percevons. Il ne s’agit en rien d’affirmer une quelconque supériorité sur les autres nations. Mais nous sommes les descendants d’Abraham, cet homme qui a passé une alliance avec Dieu il y a plus de 4.000 ans. Cette alliance symbolisée par la Brith Milah (circoncision) implique des obligations morales envers les Juifs mais aussi envers les non-Juifs. Et lorsque nous ne sommes pas à la hauteur de cette alliance, nous nous remettons en question. D’où l’importance de la critique qui doit nous permettre de nous améliorer. C’est d’ailleurs comme cela qu’Israël se conçoit. Sans jamais oublier qu’Israël est un Etat qui existe et agit en fonctions d’intérêts politiques, économiques et militaires comme tous les autres Etats à travers le monde. De de point de vue-là, les Juifs ont une vie plus simple. Du judaïsme, ils n’ont que la belle part du gâteau sans les obligations parfois pénibles qu’implique la souveraineté nationale.

Est-ce si simple d’être juif en diaspora ?

B. Beeckmans Non. Ce n’est pas toujours facile d’être juif en diaspora et c’est même très fatigant d’être juif laïque car cela nécessite de donner des réponses très actuelles à des questions qui reviennent en permanence. Nous ne pouvons pas dire à nos enfants que la réponse a été donné par untel et c’est comme ça une fois pour toutes. Ça ne fonctionne pas de cette manière. Il faut une réponse moderne tout en s’inscrivant dans la continuité. C’est pourquoi je vois l’identité juive comme une identité de flux, c’est-à-dire quelque chose de dynamique et qui évolue. Ceux qui se reconnaissent dans notre vision du judaïsme se posent sans cesse la question de leur rapport à la modernité. Nous nous remettons sans cesse en question car nous sommes confrontés aux défis de la modernité. Le CCLJ s’efforce donc d’articuler la fidélité au judaïsme et l’adhésion aux valeurs de la modernité pour en faire quelque chose de plaisant. Les Juifs aiment répéter que c’est dur d’être un Juif (shver tzu sein a yid) mais cela peut aussi être un plaisir d’être juif. Cette dimension est importante car nous devons en tant que Juifs veiller à transmettre cette identité juive aux générations suivantes. Contrairement aux Juifs israéliens, cela ne va pas de soi pour nous. Mes enfants seront-ils juifs comme je le suis ? C’est un questionnement auquel nous sommes confrontés en diaspora. Pour que cette transmission soit garantie, nous devons donc faire en sorte que nos rites soient modernisés et repris avec plaisir par nos enfants.

Quel regard portez-vous sur la vision et la démarche du CCLJ ?

E. Nahshon Je me sens proche de celle-ci. Moi-même je viens d’une famille juive laïque très à gauche. Mon grand-père a été expulsé de Belgique en 1932 pour activités communistes ! Je comprends votre démarche et j’ai conscience à quel point elle est compliquée. En tant qu’Israélien, je pense évidemment que les Juifs seraient mieux en Israël mais je ne permets pas de juger ceux qui veulent rester en diaspora. En revanche, je ne peux m’empêcher de constater que des Juifs, et parfois au CCLJ, critiquent Israël et jouent les saintes-nitouches en nous donnant des leçons de morale pour créer une espèce de contenu pseudo juif dans lequel ils sont à l’aise avec eux-mêmes et en harmonie avec les courants politiques auxquels ils s’identifient hors du milieu juif. Pour ces Juifs, Israël est devenu un bouc émissaire qui permet une expression juive libérale, de gauche et bien-pensante.

B. Beeckmans Je suis sioniste et le CCLJ revendique pleinement son sionisme. Entre un antisioniste et Israël, il y aura toujours le CCLJ qui sera là pour défendre Israël. C’est un rôle que nous assumons. Et même si nous refusions de l’assumer, les antisionistes vont nous contraindre à le faire. Il y a des choses en Israël qui nous impliquent en tant que Juifs. Nous essayons d’avoir les mêmes exigences morales et politiques envers 
Israël que celles que nous avons envers la Belgique ou d’autres Etats démocratiques. Ce que nous condamnons là-bas, nous le condamnerons ici. Pour le reste, vous avez effectivement raison de pointer cette identité juive qui ne se définit qu’en opposition à Israël. Mais ce n’est pas celle du CCLJ ! Nous sommes sionistes et nous entretenons un rapport que nous voulons constructif avec Israël. Car au bout du compte, quoi que nous fassions, nous nous retrouvons dans le rôle de votre avocat. Par ailleurs, les critiques qu’il nous arrive de formuler sont très souvent émises par des Israéliens eux-mêmes. S’il y a donc de la friture sur la ligne qui nous relie à Israël, ce n’est pas grave car l’important c’est que la ligne existe et que nous nous parlons en toute franchise.

E. Nahshon La friture, c’est merveilleux tant que ce n’est pas le plat principal. Nous devons donc trouver un moyen d’envisager ce dialogue de la meilleure manière possible. Je sais que la critique est légitime et fait partie de la tradition juive. Elle ne doit pas pour autant devenir le cœur de notre relation. J’estime qu’il faut trouver un équilibre différent. Le débat ne peut pas exclusivement porter sur le conflit israélo-palestinien. Il y a des questions beaucoup plus importantes qui nous concernent tous concernant l’identité juive et l’avenir du peuple juif.

B. Beeckmans Vous avez raison, les sujets de discussion doivent être pluriels. Pour le CCLJ, c’est important car cela stimule notre engagement en faveur de tout ce qui rassemble Juifs israéliens et de diaspora. Nous partageons cette communauté de destin en faisant le choix de maintenir une présence juive en diaspora. La mission du CCLJ est précisément de rendre vivante cette présence juive en lui donnant du sens et du contenu.

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