« Nous sortons d’un long tunnel »
Le président du Musée juif de Belgique, Philippe Blondin, était présent chaque jour à la Cour d’assises pendant ces quelque deux mois de procès. S’il se souvient avoir été extrêmement choqué par la première semaine d’audience, qui a fait passer selon lui « le juridisme avant les victimes », il reconnaît aujourd’hui les qualités de la présidente de la Cour, Laurence Massart, dont il salue « la patience, la gentillesse et l’empathie » à l’égard des témoins. Une présidente « profondément humaine », estime encore le président du Musée, « qui a su faire preuve d’autorité quand il le fallait. Avec l’intelligence de ne pas réagir à tous les échanges infâmes et à la grossièreté de la défense, ce qui aurait pu entraîner des interruptions d’audience et une rupture dans la procédure », fait-il remarquer. « Son objectif était d’arriver au bout dans les temps voulus, et elle l’a fait, chapeau ! ».
Philippe Blondin apprécie par ailleurs le professionnalisme des deux juges d’instruction et des enquêteurs qui ont selon lui réellement mené l’enquête à charge et à décharge, « en examinant toutes les portes de sortie possible avant de se concentrer sur Nemmouche et Bendrer ».
Très marqué par « la froideur et la passivité » tout au long du procès du principal accusé, Mehdi Nemmouche, déclaré coupable de la tuerie, Philippe Blondin déclare sortir d’un long tunnel. En contact régulier avec les familles d’Alexandre Strens et de Dominique Sabrier -les deux filles de Myriam et Emanuel Riva ayant encore beaucoup de mal à maintenir des relations avec Bruxelles-, il affirme : « Je garderai toujours la souffrance et la douleur de ces familles dans mon cœur et sur mes épaules, mais maintenant que justice est rendue, on voit la lumière se profiler ». Quant aux théories du complot avancées par la défense, « sans aucun fond et tout à fait déplacées », le président du Musée juif de Belgique confie ne pas avoir cru un instant que le jury tomberait « dans un piège aussi gros ! ».
Il considère la peine de la réclusion à perpétuité tout à fait justifiée pour « celui qui, par son silence, a aussi couvert l’horreur des attentats de Zaventem et Maelbeek ». Avant de déplorer qu’il aura fallu les attentats de 2015 en France pour prendre la mesure de ce qui s’est passé au Musée juif. « Beaucoup ont estimé que la tuerie du Musée juif ne concernait que les Juifs, et quand cela ne concerne que les Juifs, on vient de le voir encore avec les dérapages du Carnaval d’Alost, cela n’intéresse personne ! En visant les Juifs, cet attentat visait en réalité tous les mécréants… ». Pour Philippe Blondin, au-delà des lois, c’est l’éducation qui doit permettre de combattre les idées préconçues. « Depuis l’attentat, notre Musée n’a fait qu’augmenter ses activités, en jetant des ponts vers les autres cultures, ou s’ouvrant au dialogue », insiste-t-il. « Ce dialogue ne doit pas s’exercer uniquement du haut vers le bas, mais peut aussi se faire à partir des jeunes que nous accueillons vers leurs parents. Les rencontrer et dialoguer avec eux est tout aussi enrichissant pour nous, pour affiner notre argumentation et nous aider à mieux lutter contre l’antisémitisme ».
« Une page est tournée… »
Daniel Strens, le frère aîné d’Alexandre, abattu dans l’attentat du Musée juif, tenait à accompagner sa mère lors de son audition en cette matinée du 18 janvier. « Nous avons beaucoup hésité à la faire venir, et finalement nous avons accepté, mais avec la condition qu’elle ne soit pas interrogée par les avocats de la défense », confie-t-il. « Nous ne l’aurions pas supporté »
Pendant les quatre années d’enquête, comme l’ensemble des parties civiles, la famille Strens a pu avoir accès à certaines parties du dossier, en étant tenue au courant de chaque nouvel élément de l’enquête par son avocat Me Dalne. « Face au brouillard dans lequel nous avons été plongés du jour au lendemain, nous avons préféré centraliser nos espoirs sur l’action coordonnée entre les parties civiles », souligne Daniel Strens. « La stratégie utilisée par la défense de faire le procès des victimes nous a profondément outrés, mais a renforcé l’entente entre les avocats et constitué un véritable ciment ».
Daniel Strens reconnaît par ailleurs avoir vécu ce procès de façon très stressante, avec le dévoilement par la défense d’éléments de la vie privée de son frère « tout à fait hors sujet, essayant de créer des liens là où il n’y en a pas ». Une stratégie qu’il qualifie d’« enfumage », « visant à donner du corps à un texte vide, à parler plus des victimes que de ce que les accusés ont fait ». Il confie aussi sa crainte que le procès prenne une direction qui ne soit pas la bonne, en devenant le procès d’un règlement de compte entre services de renseignements. « Tout le monde ne croit pas aux extraterrestres, mais certains y croient », note-t-il. « Quand on réalise qu’il a fallu deux mois pour comprendre ce qui s’est passé, la défense ne pouvait que meubler avec des histoires à dormir debout. On a opté pour les laisser dire, afin de ne pas nourrir leurs arguments. Et la présidente a visiblement fait le même choix ».
Le réquisitoire des procureurs demandant la réclusion à perpétuité pour Nemmouche et 30 ans pour Bendrer aura réconforté la famille Strens. « La perpétuité lui va comme un gant, et il la portera comme une cravate », déclare Daniel Strens à l’égard de « celui qui a du sang sur les mains, mais continue de sourire ». Concernant les 15 ans de prison prononcés pour Bendrer, « on est tenu de se plier à la décision du jury populaire, donc je l’entends, mais je reste interpellé », admet-il. « Nemmouche et Bendrer ont un espoir de sortie, nous on a droit à la perpétuité », affirme Daniel Strens. Sa mère Annie Adam semble elle aussi quelque peu apaisée, même si le déballage fait autour de son fils l’a bouleversée. « Comme l’a dit très justement le procureur, dans un procès d’assises, il n’y a pas un gagnant un perdant, on est tous perdants ». Tentant de rester positif, il conclut : « Une page est tournée, on va pouvoir commencer un nouveau chapitre ».
« Une condamnation sans ambiguïté et un signal fort »
La famille Riva et les deux filles du couple en particulier, Ayelet et Shira, 15 et 17 ans au moment des faits, auront vécu très difficilement l’attente du procès, et bien sûr le déroulement de celui-ci qu’elles choisiront de suivre à distance, « pour se protéger », affirme un de leurs avocats, Me David Ramet. « Elles n’avaient pas encore pu faire leur deuil, et celui-ci leur a été confisqué par la défense avec des théories complotistes burlesques. Sachant bien évidemment qui étaient leurs parents, cela les a fait énormément souffrir », insiste-t-il, notant comme Daniel Strens la très bonne entente entre les parties civiles, « en raison de ce sentiment commun d’injustice ».
Si la présidente avait convoqué les deux filles Riva pour une audition, elles ont longuement hésité elles aussi à venir parler devant la Cour. C’est finalement le déplacement d’un avocat en Israël qui les convaincra de faire le voyage. « Leur venue était très importante, dans la mesure où cela permettait des mettre des visages sur la famille Riva, sur ces personnes qui ont souffert. Cela constitue sans aucun doute l’un des moments forts du procès », estime Me Ramet. Une audition particulièrement pesante, permettant de ressentir toute la douleur des deux jeunes filles désormais orphelines. « Elles redoutaient cette audition, mais en sont reparties plus sereines, soulagées de la façon dont cela s’est passé », précise leur avocat. « La présidente leur a tout de suite fait comprendre qu’elle n’épousait pas les thèses de la défense en ne les interrogeant que comme victimes, c’était essentiel ».
C’est avec un grand soulagement qu’elles réagiront aussi au prononcé du verdict. « Quand vos parents sont assassinés, toutes vos certitudes sont ébranlées », explique Me Ramet. « Ici, on a une condamnation claire et précise du principal accusé, sans aucune ambiguïté, avec un arrêt dont la motivation est exceptionnelle et des détails qui le rendent irréprochable. Les jurés ont cherché la vérité comme de vrais juges, en prenant leur rôle très à cœur, en voyant et revoyant les images en détail, en examinant toutes les pièces du dossier. Je salue réellement leur travail ». Et de revenir sur le « signal fort » que le jury a voulu transmettre, même s’il a adouci quelque peu sa position pour la peine du coaccusé : « En reconnaissant Bendrer comme coauteur, une condamnation plus sévère que ce que demandait le Parquet, il a aussi envoyé un message très important qui est que l’on ne peut pas participer à un attentat terroriste sans intention de le commettre », fait remarquer Me Ramet. « On ne fournit une kalachnikov que pour commettre un crime, surtout que Bendrer ne pouvait ignorer la radicalisation de Nemmouche. Vous ne pouvez donc plus vous défausser, vous serez considéré vous aussi comme terroriste ! »