Le hidjab, cette arme de combat politique

Willy Wolsztajn
Au fond, que le débat sur le voile islamique s’invite à la table des négociations du gouvernement bruxellois est bienvenu. Les masques tombent. Le dress code musulman, réservé aux femmes et à elles seules, apparaît pour ce qu’il est. Non l’expression d’une spiritualité, d’une intime élévation de l’âme à Dieu, mais celle d’un mouvement sociopolitique. La promotion d’un ordre social religieux, patriarcal, puritain, identitaire, totalitaire, opposé au sécularisme de l’Europe, à la laïcité, à l’humanisme et à l’universalité de ces valeurs fondatrices.
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Un tract Ecolo avait allumé la dernière semaine de campagne électorale. Les candidats se voyaient interpellés par nos concitoyens musulmans. Le voile islamique devenait clairement ce que l’on savait déjà : un enjeu politique. Le quotidien Le Soir[1] a consacré deux pleines pages aux promoteurs du hidjab. On y retrouve la youtubeuse Sara Lou, Ihsane Haouach, Mahinur Özdemir, Hajib El Hajjaji, l’asbl Les Cannelles, le Collectif contre l’Islamophobie en Belgique.

Ce sont les mêmes visages, au demeurant peu nombreux, qui toujours apparaissent. Grâce aux opportunismes, aux complaisances voire aux complicités non musulmanes, avec leur look d’exotisme orientaliste, ils se sont frayé une place parmi les médias, les partis politiques, les assemblées représentatives, les cénacles intellectuels, académiques et associatifs. Ils gravitent dans la mouvance des Frères musulmans et de l’AKP du néo sultan Recep Tayyip Erdogan, des parangons de démocratie et de progressisme comme chacun sait.

Ils ressassent une posture victimaire. On mêle habilement discriminations réelles, basées sur le genre ou l’origine ethnique et prétendues discriminations anti-musulmanes. On accuse surtout les règlements interdisant les signes convictionnels ostentatoires. On omet de dire que contrairement au genre, au faciès ou à la peau, un hidjab peut toujours s’ôter. L’abus de langage constitue une marque de fabrique de l’islam militant.

Ihsane Haouach se plaint d’avoir dû renoncer à des études de droit, faute de pouvoir plaider couverte de son voile. Elle a opté pour la faculté Solvay. Entre les professions d’avocate et de manager, elle ne peut guère invoquer un déclassement social. Par contre, ce choix révèle son échelle des valeurs. Pour elle, la loi de Dieu prime sur la loi des humains.

Ihsane Haouach a lancé l’association Les Cannelles, où milite avec elle Mahinur Özdemir, déjà évoquée dans ces colonnes.[2] Les Cannelles se posent en féministes. Elles émanent de la campagne vidéo « Bruxelloise et voilée[3] » à laquelle participe Malika Hamidi, théoricienne du « féminisme musulman » et égérie du très peu féministe Tariq Ramadan. Pour celle-ci, le voile « est porté (…) comme un acte sociopolitique (…) en cachant les atours du corps féminin, en supprimant le corps comme atour, [il] pose enfin la femme comme intelligence et comme esprit. (…) Une nouvelle forme de militantisme religieux émerge (…) qui combine l’univers de référence islamique et la modernité. Les féministes musulmanes couvertes de leurs foulards se considèrent comme résolument modernes (…) tout en refusant ce qu’elles nomment la permissivité de l’Occident.[4] »

Quant au prédicateur Hassan Iquioussen, lui aussi proche des Frères musulmans français ainsi que de l’antisémite Alain Soral : « Chez nous, musulmans, (…) la foi et la pudeur sont deux sœurs siamoises. On ne peut pas les séparer. Sinon elles meurent. (…) Quand l’être humain n’a pas de pudeur (…) il va se comporter comme un animal. (…) On [ne] doit pas faire l’étalage de nos atours. (…) Les hommes sont des prédateurs. (…) Alors, pour protéger la femme, (…) Dieu nous dit : « Cachez votre beauté. » Parce que, il y a des loups affamés. Et ça va vous coûter très cher, vous les femmes, si jamais vous exposez votre beauté en public. Parce qu’ils sont sans pitié les hommes.[5] » Le prêcheur cumule 17 millions de vues depuis six ans. Ainsi se forme l’opinion publique musulmane.

L’islam, qui emprunte beaucoup au judaïsme (circoncision, interdits alimentaires…), est lui aussi une orthopraxie. Les croyants doivent conformer leur comportement à la Loi. Comme en islam sunnite n’existe aucune autorité canonique, la voix du plus fort dicte son interprétation de la loi. D’où l’enjeu du dress code islamique. Quand un quartier se peuple massivement de femmes en hidjab, il s’islamise massivement. Quand une entreprise permet à ses salariées de travailler en hidjab, elle s’islamise. C’était l’objectif stratégique des agentes d’Actiris, l’office régional bruxellois du chômage, qui revendiquaient de pouvoir fonctionner en cette tenue. C’est aujourd’hui, en France, celui des commandos de militantes en burkini dans les piscines publiques.

Actiris a capitulé en rase campagne devant les tribunaux. Désormais, non seulement ses employées prestent de plus en plus nombreuses en hidjab, mais son patron Gregor Chapelle (PS) recourt à la youtubeuse enfoulardée Sara Lou pour la communication Facebook de sa boîte. Actiris est devenu un vecteur de prosélytisme islamiste.

Sara Lou s’énerve quand on prétend qu’avec son voile elle est opprimée. La Molenbeekoise a même produit un clip de propagande sur ce thème.[6] Il a recueilli 714.937 vues en deux mois et demi. Pour ma part, je ne cherche jamais à « libérer » les femmes du hidjab, même si je pense que cet accessoire nuit gravement à leur condition. De même, je ne cherche pas davantage à « libérer » les militantes catho intégristes anti-avortement. Je les combats. Je combats le voilement des femmes[7] parce qu’il incarne un ordre social qui me révulse.

Ordre social néanmoins « résolument moderne, » comme le revendique Malika Hamidi. Machiste, patriarcal, puritain, bigot, cet ordre social moderne porte en lui la haine du corps des femmes ainsi que la peur et la haine entre hommes et femmes, entre musulmans et non-musulmans. Hypocrite et rétrograde, il s’oppose à plus d’un siècle d’émancipation et de transformations anthropologiques en Europe, contre les carcans religieux et cléricaux, contre la répression sexuelle, pour la libération des mœurs, pour l’égalité entre les genres, pour l’autonomie et l’épanouissement des personnes. Rejetons-le avec la même détermination que nous rejetons celui rêvé par l’extrême droite.


[1] Le Soir – 28.06.2019.

[2] http://www.cclj.be/actu/politique-societe/mahinur-ozdemir-au-ps-drole-camarade

http://www.cclj.be/actu/politique-societe/mahinur-ozdemir-farida-tahar-et-freres-musulmans-bruxelles

[3] https://bruxelloiseetvoilee.com

[4] Malika HAMIDI – Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? – Editions de l’Aube – 2017 – Pages 116-117.

[5] Verbatim – https://www.youtube.com/watch?v=H5TdMprN0HE – Relevé le 30.06.2019.

[6] Sara Lou – Balance ton quoi • Angèle [reprise-cover] – https://www.youtube.com/watch?v=7Xs-EkCW7Ik

[7] Fatiha AGAG-BOUDJAHLAT – Combattre le voilement – Les éditions du Cerf – 2019.

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