Là, où je m’oppose radicalement aux thèses décoloniales ou indigénistes, c’est dans leur volonté de réduire le racisme au seul suprémacisme blanc, c’est-à-dire à la couleur d’une seule peau, entendez la blanche.
A les suivre, le racisme serait structurel pour tous les Blancs et, forcément, accessoire, secondaire, accidentel chez les « non Blancs ». L’interview de la journaliste et chroniqueuse d’origine rwandaise Sabrine Ingabire en juillet dernier dans le quotidien De Morgen témoigne de cette dérive raciste de l’antiracisme : « Ecoutez, tous les blancs sont racistes. N’utilisez pas cela comme un gros titre pour l’instant, hein. (rires) C’est aussi simple que ça. Vous faites partie intégrante d’un système blanc. Vous ne comprendrez jamais vraiment ce qu’est le racisme, parce que vous n’y avez jamais été confronté ». Constat étonnant de la part d’une ressortissante d’un pays où une politique raciste à l’état pur généra le dernier des génocides du 20e siècle, celui du million de Tutsi exterminés par ceux que Jean-Pierre Chrétien qualifia, non sans raison, de nazis noirs. Il est vrai que notre Bekende Vlaming est d’origine hutu, ceci expliquant évidemment cela.
Faudra-t-il une nouvelle fois le répéter, le racisme tient, bien moins de la couleur de la peau que de rapports de pouvoir, que de constructions sociales, de représentations de l’Autre (le Juif, la Femme, le Noir, l’Arabe) construit dans la longue durée. Comment nier que la représentation du Noir se trouve conditionnée en Europe par l’expérience coloniale, et aux Etats-Unis, comme d’ailleurs au sein du monde arabe, par l’esclavagisme systémique. Dire que le colonialisme et l’esclavage ont induit une image péjorative des Africains est une évidence. Il suffit de lire Tintin au Congo pour s’en persuader. Cette BD est une voie royale pour qui veut saisir la mentalité raciste des Européens et non des « Blancs » en tant que tels. Pourquoi ? Parce que le « Blanc » en tant que tel n’existe pas. On est toujours le Blanc ou le Noir de l’Autre. Si les Arabes sont considérés comme « colorés » par les racistes européens, ils n’en sont pas moins tenus pour ‘Blancs’ par les Africains subsahariens.
De même, les Nazis tenaient les Polonais comme des êtres inférieurs qui, pour leur part, n’en entendaient pas moins se débarrasser de leurs Juifs. Et, sincèrement, où placer les Juifs dans l’échelle des couleurs, eux qui furent –et je m’en excuse auprès de toutes les autres peuples victimes– comme le groupe le plus persécuté de tous les temps. Sont-ils vraiment des Blancs, comme l’avance Houria Bouteldja, l’égérie du Parti des Indigènes de la République (PIR) ou bien des Noirs comme le laisserait plutôt à croire leur infériorité structurelle tant dans la Cité chrétienne que musulmane (Dhimmi) ? A moins d’être indigéniste, poser la question revient à s’en désintéresser ! Manifestement, l’antisémitisme n’est pas affaire de couleur de peau mais bien de représentations collectives héritées du passé. L’actuelle crise sanitaire le démontre à l’envi. Elle n’a pas manqué, en effet, de ressusciter l’antisémythe du Juif empoisonneur. Dans le flot des thèses complotistes relatives au Coronavirus, la piste juive n’a pas manqué d’être mise en avant avec son lot d’accusation à l’encontre, ici, des Rothschild, là, de Soros ou encore dans le cas français de l’ex-ministre (juive) Agnès Buzyn et de ses acolytes, Lévy et Salomon. Cela ne s’invente pas.
Manifestement nombre de nos compatriotes n’ont pas fait du passé table rase. En témoigne encore cette étrange séquence où l’on voit notre Agence Belga illustrer une dépêche relative à la pandémie mondiale par la seule illustration d’un jeune hassid devant le Kotel, c’est-à-dire le mur dit des lamentations. Qu’est-ce qui a bien pu motiver le metteur en page de choisir cette photo alors que l’article n’évoque pas plus les Juifs qu’Israël. Le plus étonnant de cette affaire est que de nombreux médias (RTL, Proximus, LLB, DH, etc.) ont repris la dépêche, sans s’interroger sur le lien entre l’illustration et le corps du texte. Merci à Rudi Roth de l’avoir signalé et plus encore d’avoir amené ces différents médias à corriger le tir. Il existe manifestement un inconscient collectif européen hérité du Moyen-âge, qui pose le Juif, en fauteur de maladies infectieuses.
L’antisémitisme comme le racisme sont affaire d’héritage culturel, de rapports de domination inscrits dans la durée. Cela explique la persistance d’un racisme résiduaire envers les Juifs comme des Noirs tant au Nord qu’au Sud de la méditerranée. La dhimmitude, c’est-à-dire le statut d’infériorité des Juifs en Terre d’Islam, explique en grande partie l’image négative des Juifs et pas seulement des Israéliens dans la Cité et/ou les banlieues de l’Islam. C’est notamment ce que démontre l’étude Les Juifs et l’Autre que je viens de publier à Paris pour la Fondation Jean Jaurès et dont je vous parlerai dans le prochain numéro de Regards.