Le 31 mai dernier, Bruno De Wever, historien spécialiste du Mouvement flamand, a exprimé le malaise que lui inspire ce monument dans la revue Apache et le 25 juin dernier, dans les quotidiens De Standaard et Het Nieuwsblad, l’historien Koen Aerts a condamné ce monument qu’il juge « inacceptable ».
Cette condamnation nécessaire laisse malgré tout un goût amer. En effet, Koen Aerts a consacré de nombreux travaux aux enfants de collaborateurs flamands. Même s’il s’efforce de porter un regard critique sur les mécanismes mémoriels qui ont conduit de nombreux enfants de collabos à s’enfermer dans un imaginaire victimaire, cet historien insiste toujours sur la stigmatisation injuste dont ils auraient souffert. Ses travaux popularisés dans des émissions télévisées (la série documentaire Kinderen van de collaboratie sur VRT) ne déconstruisent pas le mythe selon lequel ils ont subi et subissent encore les conséquences d’une répression injuste de la Collaboration flamande.
La vision victimaire que des historiens flamands peuvent conforter fait évidemment le lit d’une initiative mémorielle aussi obscène que ce monument de Zedelgem érigé en mémoire de combattants SS posés en symboles de la liberté alors qu’ils n’étaient que le bras armé d’une idéologie génocidaire. Cette inversion des valeurs est d’une redoutable perversité car elle permet de transformer des bourreaux en victimes. Si ces 12.000 SS lettons sont de braves combattants de la liberté, alors les milliers de Flamands ayant intégré la SS pour défendre le nazisme doivent être considérés de la même manière. Et si les enfants et petits-enfants de collabos peuvent usurper le statut de victime, parfois aux dépens des victimes du nazisme et de la Collaboration, la boucle est bouclée : la Flandre peut dormir tranquille et même célébrer à l’occasion du cinquantenaire du Parlement flamand les pires des collaborateurs pour leur contribution à son émancipation.
La réaction tardive des historiens flamands spécialistes de la Collaboration flamande et de sa mémoire est également saisissante. Comment expliquer qu’ils aient attendu trois ans après son inauguration pour se prononcer sur ce monument de Zedelgem ? A travers leurs travaux, ils connaissent tous l’existence du site de ce camp de prisonniers de Vloethemveld. Certains, et non des moindres, Koen Aerts et Pieter Lagrou, siègent même dans le Comité scientifique qui accompagne la mise en valeur du site ! Ils ne peuvent donc ignorer le projet de monument en hommage aux SS lettons et toutes les démarches entreprises bien avant 2018 par la commune de Zedelgem.
La lenteur et la timidité des réactions des historiens flamands pour dénoncer ce monument d’une petite bourgade de Flandre occidentale sont inversement proportionnels à la rapidité et la vigueur avec laquelle ils s’expriment dans la presse pour faire la leçon aux Juifs de Belgique. Ainsi, à grand renfort de tribunes et d’interviews parues dans la presse, des historiens flamands spécialistes du Mouvement flamand et de la Seconde Guerre mondiale avaient annoncé haut et fort en 2020 qu’ils démissionnaient du Conseil scientifique de Kazerne Dossin. Ils reprochaient aux Juifs de Belgique d’avoir la mainmise sur le Mémorial et le musée de la déportation de la caserne Dossin, de se braquer sur la singularité de la Shoah, d’instrumentaliser cette institution au profit de la politique israélienne et d’empêcher le Mémorial de la déportation de la caserne Dossin de s’intéresser à la problématique des droits de l’homme dans son approche. Virulents, brusques et braillards face à la petite communauté juive de Belgique, ces historiens « progressistes » flamands soucieux de déconstruction sont curieusement bien prudents et timorés lorsqu’ils doivent s’exprimer pour déconstruire la pornographie mémorielle à laquelle un nombre non négligeable de leurs compatriotes semblent encore succomber.