Quand on perd le nord…

Joel Kotek
D’aucuns, tel le dépité Michaël Freilich (N-VA), m’accusent de m’acharner en tant que francophone sur mes infortunés voisins flamands. L’accusation est facile et absurde. Ce n’est pas le francophone qui s’émeut de certaines dérives et lâchetés mais bien le spécialiste de la Shoah qui se trouve être un « rien » flamand pour être né dans la ville où naquit Charles Quint.
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Oui, et je le confesse volontiers, j’ai un réel souci avec la bonne conscience de mes ex-compatriotes qui semblent vouloir solder à vitesse grand V la mémoire flamande de la Seconde Guerre mondiale. Je ne reviendrai pas sur les 
lamentations de ce fils de nazi qui…, mais sur le tout récent épisode révisionniste dont s’est rendu coupable le Parlement flamand. On se souviendra qu’à l’occasion de son jubilé, ce parlement s’est cru autorisé, dans une édition spéciale qu’il a commandée à Newsweek, d’honorer, aux côtés de l’éminent socialiste Camille Huysmans, deux des plus emblématiques collaborateurs flamands, en l’occurrence August Borms et Staff De Clercq. Le plus inquiétant dans cette affaire est que cette énormité a été, plus que certainement, validée par son Bureau, c’est-à-dire son instance suprême, qui comprend non seulement la N-VA et le Vlaams Belang mais aussi le Spa et Groen.

Inquiétant (n’est-il pas ?) mais aussi explicatif du quasi-silence radio politique et médiatique. Partout ailleurs, hormis la Hongrie, une telle bévue aurait provoqué une crise politique. N’étaient-ce les protestations de la Communauté juive et de rares personnalités flamandes, cette tentative de réhabilitation de la Collaboration serait passée comme une lettre à la poste. Pris la main dans le sac, après avoir tenté dans un premier temps de noyer le poisson en invoquant une erreur de mise en page (!), le Parlement flamand, a dû se résoudre à s’excuser auprès de la communauté juive anversoise. Comme s’il s’agissait là d’un problème juif et non flamand. C’est, en effet, au peuple flamand que le Bureau du Parlement flamand aurait dû présenter ses excuses pour avoir associé, de la plus irresponsable des manières, la (juste) cause de l’émancipation flamande à celle du nazisme. De Clercq et Borms n’étaient pas tant antisémites que fascistes et pronazis.

Assurément, cet incident laissera des traces d’abord parce que les 20.000 exemplaires de l’édition spéciale de Newsweek commandé par le Parlement flamand seront bel et bien distribués, notamment dans les établissements scolaires de Flandre (bonjour les dégâts !) et, ensuite, parce qu’il a révélé au grand jour, le jeu pour le moins trouble du seul député juif flamand. Ce dernier, non content de se taire tout au long de l’affaire, en est venu à communautariser le débat et ce, en réplique à mon dernier éditorial publié dans Regards. Dans une posture qui rappelle celle d’un certain Donald T. (je suis mal donc j’attaque), le voilà qui, dans 
un tweet vidéo qui devrait faire date, en vient à accuser 
« la presse francophone » (c’est-à-dire le mensuel… juif 
Regards !) tout à la fois de partialité à l’égard d’une Flandre désormais vertueuse et de révisionnisme historique. Si vous ne le saviez pas (et pour cause car les archives auraient été détruites, dixit M. F.), des Wallons auraient collaboré avec le régime nazi. Et notre député de dévoiler au grand jour le nom d’un certain Degrelle, Léon de son prénom. Quel scoop, aussitôt relayé sur un site proche du Vlaams Belang, agrémenté de ma photo. Sans pouvoir déterminer si ce scoop lui vaudra des menaces de mort de méchants francophones, ne doutons pas qu’il en sera récompensé. Pourquoi pas par un strapontin dans le prochain gouvernement flamand, lui, qui avait déjà défendu la position (insensée) du bourgmestre N-VA dans l’affaire du Carnaval d’Alost. M. Freilich est un homme honorable qui n’a pas oublié d’organiser ce 27 janvier dans l’enceinte du Parlement une minute de silence pour les victimes juives des copains de… Borms et De Clercq. Comprenne qui pourra !

Augurant de la réaction outrée de certains collègues ou amis flamands, je reconnais volontiers qu’il est plus facile d’être enfant de victimes que de bourreaux, sauf que ceux-ci sont tout de même (et je dirais pour cause) beaucoup plus nombreux que les victimes. Rappelons, à toutes fins utiles que, tandis que furent assassinés 65% des Juifs d’Anvers du fait des nazis et de leurs émules flamands (contre 35% à Bruxelles), un René Lambrichts, l’initiateur du pogrom d’Anvers d’avril 1941, mourut dans son lit à Uccle, en 1993. Qui sait, peut-être honteux de son passé ? « Vous êtes, chers Allemands très nombreux à pouvoir en pleurer, mais nous nous sommes très peu nombreux à en rire », lançais-je, à la bravade, voilà 30 ans, à la petite-fille d’un officier supérieur nazi qui s’offusquait de mes traits d’humour relatifs à la Shoah. Que ne savait-elle que « l’humour est la politesse du désespoir » (Chris Marker). 

1. Sont membres du Bureau du Parlement flamand, Liesbeth Homans (N-VA), Filip Dewinter (VB), Joke Schauvliege CD&V, Nadia Sminate (N-VA), Bart Tommelein (Open Vld), Lorin Parys (N-VA), Jeremie Vaneeckhout (Groen) et Caroline Gennez (sp·a).

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