Quousque tandem flandria ?

Joel Kotek
Pour célébrer ses 50 ans, le Parlement flamand a décidé, sous l’égide de sa présidente, la N-VA Liesbeth Homans, de mettre en avant quatorze personnalités ayant « contribué à l’émancipation du peuple et de sa langue » dans une édition spéciale du magazine Newsweek. Parmi les rares personnalités triées sur le volet figurent les deux figures majeures de la collaboration flamande, August Borms et Staf Declercq.
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appelons à toutes fins utiles que ce dernier fut le fondateur de la VNV, un parti qui fut le principal relais du nazisme en Belgique et soutien de sa politique antisémite. Staf De Clercq ne manqua pas de se féliciter de la déportation des Juifs : « Les mesures d’épuration contre les Juifs se suivent, de plus en plus près et sont appliquées chaque jour avec plus de sévérité. Il semble que, petit à petit, nous pouvons respirer plus librement autour de notre bureau de rédaction et que de semaine en semaine, des maisons et des appartements du quartier se vident, ce qui fait que nous pouvons au moins nous promener tranquillement de la maison au bureau et du bureau à la maison ». Quant à August Borms, nous savons grâce aux travaux de l’historien Lieven Saerens qu’il se félicita, en 1943, d’avoir été, lors de sa tournée en Pologne, généreusement reçu à … Auschwitz !

On comprend dès lors la stupeur, mieux l’indignation, du CCOJB et du Forum des Organisations Juives anversois, sans compter les organisations mémorielles tels le Groupe Mémoire – Groep Herinnering. Le fait d’honorer ces deux figures majeures de la collaboration n’a rien de fortuit : il exprime l’inébranlable volonté d’une partie de la Flandre, N-VA en tête, de justifier, de réhabiliter, mieux de glorifier ces Flamands qui se jetèrent dans les bras des nazis pour le seul amour de Flandre. C’est en tout cas le message, à peine codé, que l’on veut vendre aux Américains.

 

 

Staf De Clercq

Parce que validée par l’historien Bruno De Wever, cette liste illustre encore les liens étroits et idéologiques entre les deux frères De Wever. Bruno et Bart se révèlent comme les deux faces d’une même médaille. Le fait que l’historien rappelle le passé collaborationniste des deux compères nazis n’inverse en rien ce constat. Que du contraire. Il s’agit bien là d’une manœuvre du plus haut cynisme puisque cette mise en lumière ne les empêche nullement de figurer au panthéon des héros flamands. Bref, « right or wrong, our Heroes !*» Un « émancipateur » flamand, fut-il pro-nazi, ne saurait être mauvais. C’est le sens du message adressé urbi et orbi par le Parlement Flamand et ce, pour la somme modique de 90.000 Euros.

Certains élus flamands plaident pour une maladresse. L’explication est spécieuse dans la mesure où le choix s’est porté non pas sur une mais deux figures majeures de la collaboration flamingante. C’est comme si en France, l’Assemblée nationale avait choisi d’honorer non seulement Pétain mais encore Laval !  Non, cela ne saurait tenir de la maladresse. En lieu et place de ces deux nazis, ils pouvaient choisir un Nico Gunzburg, du nom de ce professeur juif de l’Université de Gand qui mit à profit ses talents de juriste au service de la langue flamande et ce, bien évidemment, sans se compromettre avec les nazis. L’honorer eut été un gage vis-à-vis non seulement des Juifs mais encore de tous ces hommes et ces femmes qui, de toutes origines et religions, contribuent désormais au rayonnement international de la Flandre. Décidément, comme le dit l’adage, on a les héros qu’on mérite.

Cette glorification totalement insensée est évidemment une preuve supplémentaire que le CCLJ eut raison de s’opposer à la remise du diplôme de Docteur Honoris Causa à Koenraad Tinel. Pourquoi ? Parce que cette remise participa, elle aussi, de cette volonté de mettre sur un pied d’égalité les victimes de la Shoah et les “victimes flamandes” de la répression antifasciste des collaborateurs. On se souviendra de l’évocation larmoyante que fit Tinel de sa (quasi) déportation et (quasi) incarcération concentrationnaire après leur capture par les forces alliées ! On se souviendra encore que pour de nombreux Flamands, August Borms, fusillé à la libération, mourut en martyr victime de la barbarie belgicaine. Il n’a plus qu’à espérer, bien naïvement, que le Parlement flamand se décide à détruire les 20.000 exemplaires achetés de Newsweek et de voir au minimum une centaine d’intellectuels, recteurs d’université en tête, protester contre cette infamie qui les déshonore. On pourrait encore espérer que Michaël Freilich, le très médiatique député juif de la N-VA, en vienne à dénoncer ses collègues, sinon carrément démissionner de ce parti, héritier pour partie de la collaboration. On peut en douter si l’on songe qu’il s’obligea, carriérisme oblige, à défendre les organisateurs du carnaval d’Alost. Le silence de son journal familial Joodsactueel (Freilich en fut le rédacteur en chef jusqu’en 2019) est assourdissant.

Manifestement La Flandre a un problème avec l’Histoire. Conner Rousseau, le sympathique président des socialistes flamands s’est révélé incapable dans la finale d’un jeu télévisé d’énumérer le moindre terme associé à l’affaire Dreyfus. Titulaire d’un master en droit de l’Université de Gand, il admit n’avoir jamais entendu parler de cette affaire. L’U-Gent, où enseigne Bruno de Wever, ne devrait-elle pas s’interroger sur ses programmes et priorités ?

*Il est vrai que M. Bruno Dewever est de gauche. Pour preuve, son opposition à Israël dont il prône le boycott culturel et universitaire. Quel courage !

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