Deux poids, deux mesures. Encore et encore.

Joel Kotek
En 2015, un rapport de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme (français) dressait un constat que je ne peux que faire mien : la prédominance des dispositions à la tolérance ou à l’intolérance, qui coexistent en chacun de nous, dépend du contexte et de la manière dont les élites politiques, sociales et médiatiques parlent des sujets qui nous préoccupent.
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C’est moins l’évènement en soi que la manière dont il est « cadré » qui compte. La responsabilité des médias est donc particulièrement importante à cet égard. C’est ce que j’avais tenté d’expliquer cette même année 2015 et, bien mal m’en prit, aux responsables de nos médias dans une étude qui fut ignorée, sinon insultée. Et pour cause : j’y brossais le portrait de médias qui avaient joué avec le feu et ce, pour avoir présenté de manière totalement univoque, partiale et partielle, le conflit ayant opposé un an plus tôt le Hamas (et non le peuple palestinien) à Israël.

Rien n’a changé depuis lors : la couverture médiatique des récents événements qui opposèrent, cette fois-ci, le Djihad islamique (et toujours pas le peuple palestinien) à Israël l’a confirmé à l’envi : d’un côté la surmédiatisation des rares bavures israéliennes, de l’autre, rien ou presque sur les quelque 400 roquettes et missiles tirés au hasard sur les civils israéliens. La détestation d’Israël est telle qu’il ne viendrait jamais à l’esprit du moindre de nos journalistes de convoquer les peurs et les souffrances des citoyens israéliens. On ne s’étonnera donc pas qu’une fois l’accalmie revenue, notre quotidien du Soir préféré titra qu’un « accord de cessez-le-feu avait été trouvé à… Gaza ». J’en conviens, les missiles terroristes lancés depuis l’enclave de Gaza n’avaient tué aucun civil israélien, mais ce n’était pas faute d’avoir essayé. A mon avis, il eut été du devoir des médias de rappeler qu’un bain de sang fut évité à Israël du seul fait de son très onéreux système de défense anti-missile. Et s’agissant des tirs de ripostes, pourquoi ne soulignent-ils jamais que l’aviation israélienne s’efforce d’éviter de bombarder des cibles civiles, et ce, au contraire des bombardiers russes engagés en Syrie.

Enfin et surtout, pourquoi notre presse toujours si prompte à faire la morale se refuse-t-elle à souligner qu’Israël reste, au-delà des turpitudes de son Premier ministre et d’une large partie de sa classe politique, une formidable démocratie qui pourrait donner bien des leçons à notre Belgique stéphanemoreauisée. Quel autre pays que l’Etat juif peut-il s’enorgueillir d’avoir emprisonné un Premier ministre, puis un Président de l’Etat et inculpé un Premier ministre en exercice ? Cela ne mériterait-il pas un vibrant éditorial de Madame Delvaux ? Hélas non ! Rien ne sera jamais épargné à Israël que l’on continue à noircir jour après jour, tandis qu’à ses portes, des civils, du Syrie au Yémen, meurent par milliers. En silence. Même pas embarrassé. Pas d’images, pas d’émotion et encore moins d’indignation !

Cette politique de deux poids deux mesures n’est pas sans conséquence pour générer un niveau de détestation qui fait de l’Etat juif l’Etat paria, l’Etat voyou, l’Etat de trop sur terre. De Twitter à Facebook, aucun autre Etat, aucun autre peuple ne suscite autant de dégoûts, de vomissements haineux, mélange d’ignorance crasse, mais aussi d’hypocrisie bien comprise. Il est, en effet, bien plus commode de s’attaquer à ce minuscule Etat, présenté évidemment comme surpuissant, plutôt qu’aux véritables géants de notre monde. Cette haine bien pratique n’est pas sans rappeler celle des bons chrétiens du temps des croisades qui, non sans sens pratique, choisirent de s’en prendre à leurs voisins juifs plutôt qu’à ces Sarrazins peu désireux de se laisser massacrer. Aujourd’hui, c’est Israël, plutôt que la Chine ou les Etats-Unis, que l’on va, paré de sa plus belle vertu, priver de mission économique.

Je ne le répéterai jamais assez, l’antisionisme est, pour paraphraser le leader socialiste allemand August Bebel, le droit-de-l’hommisme des imbéciles et/ou des lâches. C’est selon. La stigmatisation d’Israël est, en effet, une aubaine pour qui veut éviter les coûts et les coups ; d’où le silence bien compris autour des tragédies subies par les chrétiens d’Orient, les Sahraouis, les Kurdes. Nos partis politiques pratiquent à merveille l’art de la botte en touche dès lors qu’il s’agit de ne pas provoquer des diasporas autrement plus vindicatives que ne le fut et ne sera jamais la judaïcité.

L’idée serait que nos médias cessent de diaboliser Israël comme d’ailleurs de noircir le sionisme. Au-delà des impasses réelles de la politique israélienne, de sa droitisation imbécile, un mouvement (le sionisme) soutenu par des personnalités aussi diverses et illustres que Simone Veil, Yvonne Jospa, Simone de Beauvoir, Albert Einstein, André Malraux, Robert Kennedy, Franz Kafka, Léon Blum, Jean-Paul Sartre, Primo Lévi, Vladimir Jankélévitch, Albert Camus, Michel Foucault, Martin Luther-King, Serge Gainsbourg et, évidemment, Emile Vandervelde ne saurait être aussi vil et délégitime que cela.

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