À Hanoucca, une petite toupie tourne. Elle tourne entre les mains des enfants, des adultes, et elle semble, l’espace d’un instant, suspendre le temps. Sur ses quatre faces sont inscrites les lettres Noun, Guimel, Hé et Shin, formant l’acronyme de la phrase « Nes Gadol Haya Sham », « Un grand miracle a eu lieu là-bas ». Pourtant, lorsque la toupie s’arrête et tombe, personne ne peut choisir la face qui apparaît. Le hasard décide.
Ce symbole, aussi anodin qu’il puisse paraître, trouve aujourd’hui un écho saisissant dans notre réalité contemporaine. Il rappelle cette incertitude, omniprésente, qui marque l’histoire juive et qui, à bien des égards, est d’une actualité brûlante. Depuis plusieurs mois, les événements nous confrontent à des défis immenses. La violence qui se déchaine en Israël et en Palestine nous bouleverse, nous divise parfois, mais surtout nous meurtrit. En Europe, chez nous en Belgique, les élections de 2024 ont permis à certains de se défaire du masque. La parole antisémite s’est libérée d’une manière que nous pensions révolue, certaines têtes de liste ayant tenu ouvertement des propos antisémites, renvoyant notre société à une réalité alarmante. Ce n’est pas un fait isolé. Dans les rues, dans les discours politiques, dans les écoles et dans les universités, l’antisémitisme se déploie avec une force nouvelle. Ces attaques, symboliques ou directes, rappellent combien notre condition peut parfois sembler aléatoire, fragile, incertaine.
Mais l’histoire de Hanoucca nous enseigne précisément qu’il ne suffit pas de tourner une toupie et d’accepter la face qui tombe. Le hasard ne doit pas dicter notre destin. Face à l’incertitude, nous jouons un rôle, nous avons un devoir : celui de refuser le silence, de refuser la passivité et, surtout, de refuser l’effacement. C’est ce que firent les Maccabées, résistants qui se dressèrent contre l’oppression grecque et son entreprise d’effacement culturel, identitaire et spirituel. Les Maccabées ne se contentèrent pas de survivre : ils affirmèrent leur existence et leur identité. Ils firent le choix du combat, un combat pour la lumière, pour la mémoire et pour la transmission. Aujourd’hui, leur exemple résonne avec force.
Refuser ce hasard, c’est aussi s’engager dans des actions concrètes. Cela passe, par exemple, par la promotion et la défense des valeurs qui nous sont chères. Cette année, le Salon du livre du CCLJ, consacré aux Lumières, nous rappelle combien la pensée critique, le savoir et la culture sont des armes puissantes contre l’obscurantisme et l’intolérance. Les Lumières ne sont pas qu’un thème littéraire ou historique : elles sont un acte, une démarche, une résistance face à la montée de l’antisémitisme, du racisme et de tous les discours qui menacent notre cohésion sociale.
Cet engagement se poursuit également auprès des générations futures. En organisant des visites d’écoles à l’exposition sur l’antisémitisme, nous donnons aux plus jeunes les outils nécessaires pour comprendre, pour questionner et pour ne jamais laisser la haine prendre racine. Sensibiliser, éduquer, transmettre : voilà comment nous luttons contre l’ignorance et la peur. À cela s’ajoute la continuité du travail de mémoire. Notre voyage mémoriel en Pologne, organisé tous les deux ans, s’inscrit dans cette exigence de ne jamais oublier. Visiter les lieux où l’indicible a eu lieu, toucher du doigt la réalité de la Shoah, c’est un acte de responsabilité. C’est comprendre d’où nous venons pour mieux comprendre où nous allons.
Ce lien entre le passé et le présent est fondamental. Comme les Maccabées refusèrent la domination et l’oppression, nous aussi, aujourd’hui, devons refuser le hasard de l’histoire. Notre existence n’est pas négociable. Être ici, affirmer notre place dans cette société, est une déclaration de vie et de dignité. Nous devons opposer à la haine et à l’obscurité cette force tranquille mais inébranlable.
Et pourtant, malgré les combats, malgré les adversités, Hanoucca est une fête de lumière et d’espoir. Si elle célèbre la résistance des Maccabées, elle célèbre aussi un miracle. Celui de la fiole d’huile qui, contre toute attente, brûla huit jours alors qu’elle ne devait durer qu’une journée. Ce miracle est aussi une métaphore de notre histoire collective : même lorsque tout semble perdu, la lumière revient. Même lorsque les ténèbres gagnent du terrain, une flamme continue de brûler.
C’est pourquoi Hanoucca est aussi une fête de joie. Elle est une occasion précieuse de nous rassembler, de chanter, de partager des repas, de tourner cette fameuse toupie avec nos enfants. Malgré les épreuves et les défis, notre judaïsme sait célébrer la vie.
Alors, allumons nos bougies avec fierté. Que la lumière de Hanoucca éclaire nos foyers et nos cœurs. Qu’elle nous rappelle que l’incertitude ne saurait définir notre destin, que notre combat pour la justice, la mémoire et l’éducation est plus que jamais nécessaire. Et surtout, qu’elle nous rappelle que, malgré tout, il y a toujours une place pour la joie, pour l’espoir et pour la vie.
« La joie n’est pas un luxe. Elle est un acte de résistance » Proverbe yiddish
Hanoucca Sameah !