De Margarete Buber-Neumann, nous savons qu’elle fut une militante communiste en Allemagne, pays qu’elle quitta en 1937, fuyant le nazisme avec son mari, Heinz Neumann, pour Moscou. Ils sont arrêtés, Heinz disparaît et Margarete est déportée en Sibérie. Elle est ensuite livrée par le NKVD à la Gestapo et déportée à nouveau, cette fois-ci à Ravensbrück, camp pour les femmes résistantes. Elle y fait une rencontre essentielle, celle de la journaliste tchèque Milena Jesenská. . Dans ce camp de femmes, elles vont se côtoyer près de quatre ans, partageant d’indicibles souffrances mais aussi une lumineuse amitié, jusqu’à la mort de Milena, en mai 1944. Si le nom de Milena est parvenu jusqu’à nous, c’est qu’elle eut dans les années 1920, à Prague, une brève mais intense liaison avec Franz Kafka, dont elle traduisit en tchèque plusieurs textes.
Une liaison vécue essentiellement sous la forme d’une intense correspondance. À Ravensbrück, Margarete avait promis à Milena de parler d’elle, de dire qui elle fut, au cas où la Tchèque ne survivrait pas. C’est cette promesse qui se concrétise dans ce livre. Les deux jeunes femmes s’étaient promis d’écrire un livre ensemble, plus tard, sur le camp et sur leur amitié quasi amoureuse. Margarete mena seule à bien ce témoignage. Dès le jour de leur rencontre, sur l’allée centrale du camp, ce fut entre elles deux un attrait réciproque. Elles vont, jour après jour, « explorer les racines du mal communiste. » « Milena voulait savoir s’il était vrai que l’Union soviétique avait livré à Hitler des militants antifascistes qui avaient émigré en URSS. » Hélas, ce n’était que trop vrai, et c’était précisément le cas de Margarete Buber-Neumann, celle que les autres codétenues, des femmes communistes, considéraient comme une « traître » à la cause. Margarete Buber-Neumann nous livre un portrait sensible d’une Milena tchèque et provinciale, mais non-conformiste et précocement amoureuse de la haute culture allemande et juive. Kafka, Praguois comme elle, n’était pas loin. De lui, elle écrira : « Il était d’une noblesse infinie, mais il le cachait, comme s’il avait honte. » Ils se sont aimés alors que Milena avait vingt-quatre ans, et Franz trente-sept. Peu d’êtres ont compris Kafka comme Milena. Dans une de ses lettres (admirables) à Max Brod, elle dit de lui qu’il vivait dans « une ascèse sans héroïsme ». Milena était la vie incarnée ; Kafka la proie d’une pulsion de mort qui n’était démentie que par l’écriture. Peu de chance, dès lors, qu’un bel amour s’épanouisse. La mort de Milena, peu avant la libération du camp, est d’une tristesse sans nom.