L’ombre du film Lawrence d’Arabie de David Lean n’est-elle pas trop forte quand on s’attaque à ce personnage ?
Eric Bouvron Je ne me suis pas basé sur le film pour monter cette pièce de théâtre. Je me suis plutôt inspiré de son histoire en m’intéressant non seulement à ce qu’il a fait en tant qu’officier de liaison britannique durant la Grande révolte de 1916-1918 mais aussi à à ce qu’il était avant cet épisode. Je voulais surtout comprendre ce qui se passe dans la tête d’un jeune homme enthousiaste de 28 ans qui se fait trahir par ses supérieurs et son pays alors qu’il a donné sa parole aux dirigeants arabes que la Grande-Bretagne leur accordera l’indépendance une fois l’Empire ottoman vaincu. Cette pièce s’articule autour de cette question de la trahison forcée de son engagement et de ses valeurs. Ce dilemme devait ronger Lawrence d’autant plus qu’il a noué une amitié solide avec le prince Faysal, pressenti alors comme roi du futur royaume arabe.
Il ne s’agit pas non plus d’une histoire de T.E. Lawrence ?
E.B. Loin de moi l’idée de proposer un biopic retraçant toute la vie de Lawrence. Je souhaite que le spectateur sorte du théâtre en ayant la sensation d’avoir voyagé, d’avoir appris des choses et surtout d’avoir vécu une grande histoire d’aventure. Et si à travers ce récit, je peux le sensibiliser à des valeurs comme celles du respect de la parole donnée et de l’engagement, j’estime avoir rempli ma mission.
Vous montrez aussi comment cet archéologue est devenu un agent de renseignement et surtout un tacticien audacieux dans les opérations militaires de guérilla qu’il amenées contre les Turcs aux côtés des tribus arabes…
E.B. Etonnement, à cause de sa petite taille, il a failli ne jamais entrer dans l’armée. Ce n’est que grâce à son activité d’archéologue au Proche-Orient qu’il a été recruté. Sa connaissance du terrain était précieuse pour l’armée britannique. Il a recueilli énormément d’informations qui lui ont permis de reproduire sur une carte les zones les plus stratégiques pour l’armée britannique. C’est à Churchill qu’il doit sa bonne maitrise de la guérilla. Il a lu les textes que Churchill a écrit lorsqu’il était correspondant de guerre en Afrique du Sud lors de la guerre des Boers. Il a ainsi mis en œuvre contre les Turcs la tactique des Boers du Hit and run en laçant de courtes attaques surprises et en se retirant avant que l’ennemi ne puisse lancer de contre-attaques.
Les accord Sykes-Picot signés secrètement en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne prévoyant, une fois la guerre gagnée, le découpage de la région à leur seul profit respectif apparaissent donc comme la clé de voute de votre spectacle ?
E.B. Effectivement. C’est la raison pour laquelle je n’aborde pas la vie de T.E. Lawrence après la Première Guerre mondiale. La question que pose ce spectacle est de savoir jusqu’où pourra alors aller la loyauté de Lawrence envers ses frères d’armes arabes quand, sans devoir renier sa patrie, il mesurera l’étendue du mensonge orchestré par les Britanniques et les Français qui, dans le cadre des accords secrets Sykes-Picot, prévoient une fois la guerre gagnée, le découpage de la région en plusieurs zones d’influence à leur profit, et enterrent ainsi les promesses de création d’un royaume arabe. Lui restera-t-il un quelconque espoir de parvenir à renverser la situation et tenir sa promesse ? Non seulement les accords Sykes-Picot sont à l’origine de ce dilemme mais ils alimentent les problèmes que connait encore aujourd’hui le Moyen-Orient.
Lawrence d’Arabie
Jeudi 15 juin 2023 à 20h30 au Centre culturel d’Uccle.
Rue Rouge 47, 1180 Bruxelles.
Infos et réservations : 02/374.64.84 ou www.ccu.be