Dans votre livre, vous nous entraînez à Venise pour un dialogue avec Casanova. Ce dernier, dites-vous, promeut une virilité constructive, bien loin de la vision d’un autre séducteur resté dans les mémoires, Don Juan…
David Medioni : Dans ce livre j’imagine un dialogue avec Casanova pour tenter de poser les mots sur une virilité nocive qui est l’un des éléments du dérèglement dans les relations homme-femme. Je choisis Casanova à dessein, car dans Histoire de ma vie, il trace des lignes d’une masculinité hybride et inventive à des kilomètres de la virilité de vestiaire et de la figure de Don Juan tournée vers la quantité et à l’origine d’une certaine culture du viol. Déjà en 1975, Romain Gary vilipendait d’ailleurs Don Juan en le qualifiant de « vil profiteur ». C’est tout cela, qu’à travers Casanova et les Libertins (au sens philosophique du terme), j’ai voulu raconter et rappeler. Surtout, chez les Libertins, dans les salons, les femmes sont les égales des hommes. Casanova est un amoureux de la vie et des autres. Il est fidèle en amitié et toujours amoureux. Au contraire de Don Juan qui est fourbe et qui ne vise que la manipulation des cœurs à son service. Quand Don Juan s’enorgueillit de triompher des résistances d’une femme, Casanova explique que l’une des plus grandes laideurs humaines est de forcer une femme. En sortant du donjuanisme pour aller vers le casanovisme, nous réinventons profondément notre façon de « relationner » ensemble.
« Je vous écris de chez les hommes qui se sont mis à douter » écrivez-vous. Votre livre semble ainsi traversé par #MeToo. Constitue-t-il une réponse à ce mouvement ? Une tentative de coexister avec lui ?
D. M. Mon livre est traversé par #MeToo car notre monde est traversé par #MeToo. Cela est salutaire est sain. Ensuite, la formule « je vous écris » est un clin d’œil à celle, célèbre, de Virginie Despentes qui dans King Kong Théorie l’utilise pour dire « je vous écris de chez les moches, les mal-baisées etc… », pour dresser ensuite les lignes d’un féminisme nouveau. Comme mon but est de réfléchir au masculin je trouvais la forme intéressante. L’adresse est destinée à l’Humanité dans son ensemble : hommes et femmes. Parce que c’est ensemble que l’on construira du nouveau.
A travers les siècles, on a longtemps refusé à l’homme juif une quelconque virilité. S’il lui arrivait de séduire, c’était par la ruse ou l’intellect mais jamais par la force. Que dire de cela ? Et que dire également de personnages littéraires ou cinématographiques qui semblent eux-mêmes tracassés par la question de la sexualité juive : ceux de Philip Roth et de Woody Allen ?
D. M. C’est une question très intéressante. Au fond, l’homme de demain, celui que j’appelle de mes vœux est un séducteur juif. Celui qui a de l’humour, qui est humble qui traite l’autre comme son égale et qui préfère les failles aux démonstrations de force. Un autre grand séducteur juif, qui était notre « man », Leonard Cohen chantait « There’s a crack in everything
that’s how the light gets in ». C’est en acceptant leur incomplétude et en la magnifiant qu’hommes et femmes pourront inventer des rapports nouveaux, beaux et égalitaires. Des moments « à part ».
En bref
Peut-on encore s’aimer à l’heure de Tinder ? Peut-on encore séduire à l’heure de #MeToo ? Plutôt que d’esquiver ces questions ou de leur offrir un cadre idéologique figé, David Medioni invite dans son Eloge de la séduction à une réflexion franche sur ces questions qui tourmentent l’époque. De là
à dessiner la possibilité d’une séduction vraiment égalitaire ? « Je le crois parce que je l’espère » répond l’auteur, en paraphrasant Léon Blum. « Oui, reprend-il, la séduction peut être véritablement égalitaire. »
Pour preuve, Medioni cite l’intellectuelle Belinda Cannone qui avait écrit à ce sujet une tribune dans Le Monde, le même jour que la tribune dite « Deneuve » sur le droit d’importuner. Dans ce texte, Cannone soulevait l’idée profonde et puissante suivante : « Le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l’entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies et ne se percevront plus comme telles. Encore faut-il qu’elles aient la possibilité de devenir aussi entreprenantes que les hommes, aussi actives, aussi sûres de leurs désirs. Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme ». Voilà un livre destiné aux hommes comme aux femmes, qui tente d’imaginer des masculinités douces dans un monde de virilités souvent surjouées.