Raconter Ozar Hatorah, dix ans après les faits.

Laurent-David Samama
Témoin direct de l’attentat de Mohamed Merah, l’avocat Jonathan Chetrit publie un livre recueillant précisément les témoignages des élèves, professeurs et parents qui ont vécu l’attentat au sein l’école juive toulousaine.
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Le 19 mars 2012, Jonathan Chetrit s’apprête à vivre une journée normale de sa vie scolaire. Comme tous les matins, il se lève à 6h30, prend sa douche, son petit-déjeuner au réfectoire du lycée Ozar Hatorah de Toulouse dans lequel il est pensionnaire. C’est l’année de sa Terminale. On se rappelle tous de cette dernière année avant l’université, souvent synonyme de légèreté, de découverte de la vie et d’éveil au monde avant de de s’orienter définitivement vers d’autres horizons professionnels. Ce devait être une journée banale, tranquille, bercée par les premiers rayons noyant dès le printemps venu le sud-ouest de la France. Ce jour-là, c’était un lundi, l’élève débute sa journée par un peu de musique. Il écoute une chanson de l’artiste israélienne Yuval Dayan puis se rend, comme tous les matins, à la synagogue pour l’office du matin. C’est là, à 7h57 très exactement, qu’il entend un membre de l’équipe pédagogique crier : « Il y a un tireur dans l’école ! ». Le monde de Jonathan Chetrit s’écroule à ce moment précis.
Car après s’être faufilé entre les portes de l’école, le terroriste Mohamed Merah abat quatre personnes de sang-froid, le rabbin-professeur Jonathan Sandler, ses deux jeunes fils, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans ainsi que Myriam Monsonégo, 8 ans, la fille du directeur de l’école. Les détails de la tuerie sont sordides, la sauvagerie avec laquelle le tueur opère fait froid dans le dos. Comme souvent en de telles – exceptionnelles – circonstances, l’ampleur du choc et l’horreur des images empêche de porter un raisonnement complexe sur l’enchainement des faits, leur complexité, leur nature même. C’est ainsi que Chetrit explique : « En mettant en perspective la solidarité nationale qu’on a pu voir en 2015 [avec les attentats de Charlie Hebdo puis du 13 novembre], j’ai compris qu’en 2012 on n’avait pas eu le soutien qu’on attendait». Le jeune homme, devenu avocat, regrette qu’en 2012, on ait « trop souvent parlé de loup solitaire » pour qualifier l’auteur de l’attentat. Il explique : « On a également parlé des militaires, alors qu’on aurait dû parler d’hommes français. Autant d’erreurs évitables, commises du fait de l’émotion qui submerge tout, en prenant rapidement le pas sur la raison. De la même manière, en tant que victime de cet attentat, lorsque j’entends que Samuel Paty est le premier enseignant tué en France de cette façon-là, ça me révolte quelque part parce que ce n’est pas juste ». Chetrit rappelle ainsi que « Jonathan Sandler était un enseignant » et donc en 2012 « c’est un enseignant qui a été abattu au sein de la République française, au sein d’une école de la République française ».

Entre deuil et devoir de mémoire

Dix années après les faits, c’est pour donner à lire la globalité des événements du 19 mars 2012, pour fixer une fois pour toutes la vision des témoins de ce drame, que Jonathan Chetrit publie Toulouse 19 mars 2012, l’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu aux éditions Albin Michel. Un ouvrage dans lequel le jeune homme a recueilli le témoignage d’élèves, de parents, de professeurs qui racontent, quasiment minute par minute, l’horreur de cette journée. Un livre précieux en ce qu’il donne la parole à des individus qui n’avaient, jusque-là, jamais osé parler « parce qu’ils ne se sentaient pas légitimes de le faire, parce qu’il y a toujours une question de légitimité quand on a vécu un tel drame. Est-ce qu’on peut en parler avec ses parents ? Est-ce qu’on ne peut en parler qu’avec des personnes qui l’ont vécu ? La question se pose réellement ». L’avocat a ainsi fait œuvre d’écoute. Mais surtout, il a libéré la parole de siens, de ses anciens camarades. Son livre, qui constitue une étape clé du travail de deuil et du devoir de mémoire, raconte tout autant la réalité brutale de ces instants fatidiques que l’engrenage qui a suivi pour les survivants : « la ruée des journalistes, le deuil impossible, mais aussi la solidarité, la volonté de se battre, jusqu’au procès des complices ». En résulte un récit sans équivoque, difficile parfois mais salvateur toujours. Une pièce incontournable pour qui veut analyser les attentats de Toulouse, la furie antisémite, les mécanisme concrets du passage à l’acte antijuif et la manière dont nos sociétés sont secouées par ces épisodes criminels récurrents. Un livre pour que le silence ne retombe jamais. Un livre pour dire comment une école et un pays tiennent bon, malgré tout.

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