La plus longue des guerres d’Israël a enfin pris fin. Certes, ce n’est encore qu’un simple cessez-le-feu, et plutôt mal assuré, témoin le brusque accès de violence qui a suivi sa brève violation par le Hamas et a coûté la vie à deux soldats israéliens et à une cinquantaine de Gazaouis. Mais il est peu probable que l’on assiste à une vraie recrudescence des hostilités. Pourquoi ? Parce que les Américains n’en veulent pas. On peut donc en dresser un rapide bilan provisoire.
Cette guerre, Israël l’a gagnée sur le terrain. Militairement, l’État juif a administré la preuve qu’il n’avait pas de rivaux dans la région. Il a montré aussi, une fois de plus, à quel point ses ennemis, notamment les plus fanatiques d’entre eux, ne comprennent rien aux ressorts profonds de la société israélienne, à sa vitalité, à sa solidarité. Il peut sembler insensé que Yahya Sinwar, le chef du Hamas, ait pu penser que sa petite armée terroriste allait vaincre Israël, et pourtant c’est bien ce qu’il pensait. Que les mêmes qui peuplaient les manifestations hebdomadaires rue Kaplan, à Tel-Aviv, revêtent leur uniforme de réservistes ou se substituent à un État défaillant, voilà ce que Sinwar, tout parfait hébréophone qu’il fût, était incapable de prévoir.
Mais Israël, fort du prestige de ses armes, de ses renseignements, de ses exploits technologiques, de sa proximité avec Washington, a fait mieux que gagner la guerre ; il a bouleversé les équilibres géopolitiques de la région. Tsahal a virtuellement anéanti « l’axe de résistance » mis en place par Téhéran. Les coups qu’il a portés au Hezbollah, puis à l’Iran lui-même, ont créé les conditions de l’émancipation du Liban et de la Syrie de la tutelle iranienne. Cette nouvelle configuration est la plus favorable qu’Israël ait connue depuis sa fondation. Pas mécontents des malheurs infligés à Téhéran et à ses alliés, les États sunnites de la région ne demandent pas mieux que de faite une place de choix à l’État juif dans un ordre régional sous égide américaine. Mais cela a un prix : un début de règlement de la question palestinienne. Or de cela, Netanyahou et sa coalition de fascistes et de fous de Dieu ne veulent pas entendre parler. Où l’on retrouve cette vieille réalité proche-orientale : Israël gagne les guerres militairement, et les perd politiquement.
C’est que les guerres, on le sait, ne se gagnent ni ne se perdent uniquement sur le champ de bataille. En l’occurrence, sur tout autre front autre que purement militaire, Israël sort exsangue de l’épreuve. À l’intérieur, la politisation volontaire du conflit par le premier ministre, sa prolongation inutile si ce n’est pour ses besoins personnels, l’abandon cynique des otages, le refus obstiné de mettre sur pied une commission d’enquête d’État pour examine les causes de la catastrophe du 7-Octobre, l’assaut brutal, sans relâche, contre l’État de droit et les normes les plus communément admises de la démocratie – tout cela a creusé une faille morale profonde qu’il faudra du temps pour combler. Les Israéliens votent avec leurs pieds : selon un compte-rendu de la commission de l’Immigration de la Knesset, plus de 125.000 de mes concitoyens ont quitté le pays entre le début de 2022 et la mi-2023 sans esprit de retour – la plus forte hémorragie de capital humain jamais enregistrée. À l’extérieur, la manière dont Israël a choisi d’exercer son droit à se défendre lui a valu de se muer rapidement en une sorte d’État paria, seule démocratie à ma connaissance à susciter un tel rejet. Un exploit lorsqu’on songe à l’agression innommable dont il a été victime ainsi qu’à l’élan de solidarité internationale dont il a bénéficié dans la foulée. Et je ne parle pas des antisémites rabiques des extrêmes du spectre politique, mais des amis traditionnels d’Israël. À cet égard, même ceux qui, comme moi, voient d’un œil favorable l’avalanche de reconnaissances de l’État palestinien, ne peuvent pas ne pas y déceler comme une punition.
Complétons ce bref bilan par un constat amer. Sous le gouvernement supposément le plus nationaliste de l’histoire d’Israël, le pays est apparu aux yeux de tout le monde pour ce qu’il est : un protectorat américain. La place me manque pour énumérer toutes les fois où Trump a humilié son protégé en limitant urbi et orbi son rayon d’action. Au total, Netanyahou a poursuivi sa guerre tant que Trump l’a laissé faire ; un diktat du même Trump y a mis brutalement fin. On en savait l’énergumène de la Maison Blanche seul capable ; on ignorait quand il s’y résoudrait. C’est fait désormais.
Mais pourquoi Trump a réussi là où Biden, riche d’une expérience internationale incomparable et entouré d’une équipe compétente et soudée, a lamentablement échoué ? Trois raisons à cela. L’une, générale, tient à sa façon, brutalement transactionnelle, d’envisager les rapports de force internationaux, laquelle fleure bon l’ère des grands dictateurs de la première moitié du siècle passé. Une autre est le fait que le pouvoir républicain a privé Netanyahou de toute marge de manœuvre à Washington. Sous un président démocrate, il pouvait le neutraliser en s’appuyant sur les républicains au Congrès. Ce luxe lui est désormais interdit. La troisième, enfin, est le nouvel alignement des intérêts dans la région. Dans la confusion totale du public et du privé qui caractérise l’administration Trump, les monarchies du Golfe pèsent infiniment plus que le principicule vassal de Jérusalem. Pour s’en tenir à un symbole, Netanyahou ne peut pas offrir à son suzerain un avion qui vaut 400 millions de dollars. On peut trouver tout cela détestable, mais on ne peut pas ne pas se féliciter du résultat. La question est de savoir où l’on va d’ici.
On n’en sait rien en fait. Le « plan » américain en vingt points a le mérite de dessiner une sorte de feuille de route, mais il est vague, perclus de malentendus et avare en détails. Surtout, il ne s’occupe que de la seule bande de Gaza et ignore la Cisjordanie, qui, nonobstant la guerre de Gaza, reste le principal front israélo-palestinien. À Gaza, les seuls Israéliens présents sont en uniforme, et les projets de réimplantation de colonies n’ont jamais dépassé le stade de chimères. En « Judée-Samarie », les protagonistes sont les colons, et ils sont au pouvoir à Jérusalem.
Multiplication des colonies « sauvages » ; confiscations massives de terres ; la mise en route du projet de développement de la zone E1 entre Jérusalem et la colonie de Ma’ale Adumim, qui coupe la Cisjordanie en deux et rend impossible toute continuité territoriale (l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, a applaudi des deux mains) ; raids de l’armée dans les camps de réfugiés et pogroms quotidiens perpétrés par des colons extrémistes – les « jeunes des collines » – contre les paysans palestiniens pour les contraindre à abandonner leurs terres, sous l’œil indifférent ou complice des soldats… La Cisjordanie est un baril de poudre qui attend tous les jours l’allumette de trop qui va le faire exploser. Nous en reparlerons.







