Le 25 janvier 1991, à 19 heures 32, le drapeau soviétique était ramené sur le Kremlin et le tricolore russe hissé à sa place. Allumée par la « Glorieuse révolution d’Octobre » de 1917, cette « grande lueur venue de l’Est » (Romain Rolland) s’est éteinte sans gloire faute d’avoir tenu ses promesses. A l’époque, le philosophe américain Francis Fukuyama annonçait la « fin de l’Histoire », autrement dit l’unification du genre humain autour des principes de la démocratie libérale et du doux commerce. Qui y croit encore trois décennies plus tard ? Entre ces deux dates, en effet, l’Histoire dont Fukuyama proclamait prématurément le trépas prenait sa tragique revanche : affrontements ethniques sanglants dans les Balkans, violence djihadiste mondialisée, interminable « guerre contre le terrorisme » américaine, vague révolutionnaire dans le « grand Moyen-Orient » se retournant contre elle-même, montée des populismes nationalistes jusqu’au cœur des vieilles démocraties occidentales, affirmation de la puissance chinoise et revanchisme russe, menaces d’une nouvelle guerre froide planétaire, bruits de bottes en Europe même – et j’en passe.
Second anniversaire : le 6 janvier 2021, les Etats-Unis ont offert au monde le spectacle incroyable d’une insurrection menée contre le siège de leur démocratie. De la série de cataclysmes esquissée ci-dessus, le coup d’Etat tenté ce jour-là est sans doute l’événement le plus angoissant. Il dévoile aux yeux de tous, amis et adversaires confondus, la grande fragilité de la plus ancienne et puissante démocratie du monde, dont la survie même est désormais en question. La démocratie, ce sont des institutions et un état d’esprit ; en Amérique, celles-là sont bloquées, celui-ci moribond, et les deux désormais incapables d’assurer le service minimum d’un régime démocratique viable : la transition pacifique du pouvoir par le jeu d’élections libres dont nul ne conteste le résultat. Mesure-t-on ce que la journée du 6 janvier, une première depuis la guerre civile, signifie pour l’image des Etats-Unis à travers le monde, pour leur rôle d’exemple, pour leur soft power ? Les Etats-Unis restent, à n’en pas douter, une puissance militaire sans rivale. Mais, on le sait depuis Talleyrand, on peut tout faire avec les baïonnettes, sauf s’asseoir dessus.
Le trumpisme, la combinaison létale d’un démagogue sans foi ni loi et de l’un des deux grands partis historiques lobotomisé par ses soins.
Aussi curieux que cela paraisse, la démocratie israélienne se porte mieux que sa grande sœur américaine. La passation du pouvoir entre le gouvernement Netanyahou et la coalition bariolée de Naftali Bennett a été tumultueuse, mais enfin, on n’a pas vu d’énergumènes armés sur l’esplanade de la Knesset. Dans le New York Times du 11 janvier, Thomas Friedman, évoquant le précédent israélien, suggérait pour la présidentielle de 2024 « un ticket Joe Biden-Liz Cheney […] ou tout autre combinaison de ce type ». Autrement dit, pour sauver la démocratie américaine, il faudrait, à l’instar des Israéliens, se résigner à des apparentements idéologiques improbables. Une fois le danger circonscrit, on pourra revenir à des configurations politiques normales.
Là-bas, le danger s’appelle le trumpisme, soit la combinaison létale d’un démagogue sans foi ni loi et de l’un des deux grands partis historiques lobotomisé par ses soins. Ici, il a pris le visage du bibisme, lequel présente les mêmes symptômes : un chef charismatique prêt à tout pour s’accrocher au pouvoir et un grand parti de gouvernement transformé en une secte de fidèles hébétés. La différence ne tient pas à la culture politique, laquelle ne vaut guère mieux ici que là-bas, mais au système en vigueur. Avec ses deux partis naguère rompus à l’art du compromis, son mécanisme compliqué de check and balances, son juridisme pointilleux, son culte de la liberté individuelle, le système politique américain semblait imperméable à toute menace autoritaire sérieuse. Des dystopies, comme Le complot contre l’Amérique de Philip Roth, ou La servante écarlate de Margaret Atwood, ont bien mis au jour les ferments totalitaires tapis dans la psyché collective américaine, mais ce n’étaient que des romans. L’Amérique restait le modèle de l’ordre démocratique, et sa gardienne globale. Or, pour des raisons qu’il ne nous appartient pas d’analyser ici, l’édifice institutionnel imaginé par les Pères fondateurs et perfectionné deux siècles et demi durant par des amendements ajoutés à une constitution unique, est désormais bloqué. De par sa complexité même, il suffit que l’un de ses éléments, en l’occurrence le parti républicain, cesse de respecter les règles du jeu, et l’ensemble de la machine se grippe.
Inversement, ce qui faisait la faiblesse de la démocratie israélienne, à savoir l’instabilité inhérente au parlementarisme outrancier, accoucheur de coalitions issues de marchandages infinis, s’est révélé comme un puissant antidote au prurit autoritaire de Netanyahou et de ses acolytes. L’instabilité est devenue souplesse. La démocratie israélienne n’est pas tirée d’affaire mais son pronostic vital n’est plus engagé.
En Israël, le gouvernement dit « de changement » a donc de bonnes chances de survivre au départ de son meilleur ennemi.
D’ailleurs, l’homme qui lui a porté les coups les plus terribles semble sur le point de quitter la scène. En effet, les avocats de Benjamin Netanyahou négocient avec le Procureur général Avichai Mendelblit une « négociation de peine » (plea bargain) aux termes de laquelle l’accusé reconnaîtrait une partie de ses torts en échange d’un acte d’accusation allégé et d’une peine réduite. Apparemment, il a enfin compris, ou ses avocats lui ont fait comprendre, que ses chances de gagner son procès et d’éviter la prison sont minces, sinon inexistantes.
A l’heure où j’écris ces lignes, ce n’est pas encore fait. La négociation est âpre. Le différend principal porte sur la clause dite de « turpitude morale » dont la peine serait assortie. Cette cause interdisant au condamné d’exercer une fonction publique pendant sept ans, cela signifierait pour Netanyahou la fin effective de sa carrière politique. On comprend qu’il cherche à y échapper. Mais, pour le procureur général, c’est une condition sine qua non de l’accord. Netanyahou n’y échappera donc pas.
En admettant que cela se fasse, ce qui est probable, serait-ce une bonne chose ? L’opinion est fortement divisée à ce propos. Nombreux sont ceux qui pensent que, afin d’assainir l’atmosphère, rétablir la confiance du public dans le système judiciaire et servir d’antidote à la corruption politique, le procès devrait aller à son terme. D’autres, dont je suis, estiment qu’une procédure qui traînerait en longueur des années durant contre un personnage de la trempe de Netanyahou, qui n’a pas son pareil pour manipuler sa « base » de fanatiques, n’est pas dans l’intérêt du public.
Reste à savoir l’effet que sa mise hors d’état de nuire aurait sur la configuration politique du moment. On a tant dit que lui seul assurait la cohésion de la coalition faite de bric et de broc qui nous sert de gouvernement, qu’on peut imaginer que, lui parti, elle se déferait aussitôt. C’est aller vite en besogne. Il y a une dizaine de candidats à sa succession, qui sera longue et sanglante. D’ailleurs, comme Trump aux Etats-Unis, son ombre portée sera toujours là ; pour un temps indéterminé, le Likoud sera son Likoud, et lui fera tout pour rendre la vie de son successeur aussi amère que possible.
Le gouvernement dit « de changement » a donc de bonnes chances de survivre au départ de son meilleur ennemi. Pour autant qu’on puisse se risquer aux pronostics dans ce pays qui les déjoue tous, la vraie échéance serait le 27 août 2023, quand, aux termes de l’accord de rotation, Naftali Bennett est censé céder le fauteuil du Premier ministre à Yaïr Lapid, le chef de Yesh Atid et actuel « premier ministre alternatif ». Il reste dix-neuf mois, soit une éternité…
Article parfaitement partisan. Donc sans portee. L’auteur n’aime ni Natanyahou ni Trump. Il est progressiste, Liberal aux USA. Il en a le droit. Le liront ceux qui sont du meme avis qur lui.