C’est sans même l’avoir lu que l’éditeur Bernard Grasset accepta de publier, en 1913, le premier volume de ce qui allait devenir A la recherche du temps perdu. Cette publication se ferait à compte d’auteur. Après coup, Grasset s’aperçut que cette œuvre était exceptionnelle, même s’il tenait Proust pour “l’homme le plus compliqué de Paris”. Les négociations furent en effet compliquées, comme elles le seraient plus tard avec Gaston Gallimard. Il fallait un intermédiaire qui connût fort bien les deux hommes. Ce fut René Blum, homme de lettres, frère cadet de Léon Blum qui s’y colla. Les innombrables corrections de Proust et surtout ses ajouts considérables seront dûment facturés par Bernard Grasset. Qu’on en juge : Proust négociait la composition du volume, les caractères typographiques, le nombre de signes par lignes, de lignes par page, la date de parution, le tirage, le prix de vente, le montant des droits, la publicité, le tirage initial, etc. Quand il reçoit ses placards d’épreuves, il ne se contente pas de les corriger : il réécrit le tout, et double le nombre de pages. D’où nouvelles épreuves, nouvelles réécritures, nouveaux ajouts, les imprimeurs s’arrachent les cheveux. Faut-il être un proustien accompli pur apprécier cet ouvrage ? Si vous partagez seulement avec moi la conviction que Proust est le plus grand écrivain de langue française de la première moitié du XXe siècle, alors cette correspondance vous passionnera, en dépit ou à cause du caractère obsessionnel de l’auteur, malade et alité. Après cette publication de Du côté de chez Swann, ces messieurs de la NRF s’avisent enfin qu’un très grand écrivain est né. Ils vont le disputer à Grasset, et avec succès, et au grand dépit de ce dernier. Cette nouvelle phase éditoriale est l’objet d’une autre histoire, que nous conte une autre correspondance, cette fois entre Proust et les Editions de la NRF et l’objet d’un autre livre qui parait, rien d’étonnant, chez Gallimard.






