Situé dans un immeuble historique de la ville, le Musée juif de Thessalonique retrace plus de 2000 ans de présence juive dans la cité portuaire grecque. Ses collections évoquent à la fois la vitalité culturelle, religieuse et économique des Juifs saloniciens et leur extermination quasi totale durant la Seconde Guerre mondiale. Tandis qu’un nouveau musée de la Shoah se construit près de l’ancienne gare, la ville affronte son passé pour mieux l’inscrire dans son présent.
Inauguré en mai 2001, au cœur de la ville dans un immeuble de 1904 qui abrita notamment le journal juif francophone L’Indépendant et survécut à l’incendie de la ville en 1917, ce musée est l’œuvre de la communauté juive. « Il a été conçu dans le cadre de ‘‘Thessalonique capitale culturelle de l’Europe 1997’’ dont l’organisation a contribué à la rénovation du bâtiment qui a toujours appartenu à la communauté. », explique Xenia Eleftheriou, Directrice scientifique du musée « C’était une galerie commerciale dont les revenus servaient aux œuvres sociales juives. Le premier conservateur du musée était l’écrivain et chercheur Nikolas Stavroulakis, un Juif crétois, originaire de La Canée. »
Au rez-de-chaussée du musée, des pierres tombales et de grandes reproductions de photographies anciennes représentent l’énorme nécropole juive de la ville, détruite sous l’Occupation, tout comme les synagogues, dont de rares vestiges d’architecture sont exposés dans ce même espace, voisin de la salle du mémorial, où sont gravés dans le marbre les noms de 27.000 victimes locales identifiées de la Shoah, et qui accueille les expositions temporaires. À l’étage, une exposition conçue au musée du Kibboutz Beit Lohamei Ha-Getaot retrace plus de 2.000 ans d’histoire juive à Salonique. Grand centre de l’édition hébraïque après 1512, Salonique, Madre de Israel, avec ses nombreuses synagogues et écoles rabbiniques, est une ville ottomane dont la majorité des habitants sont juifs, suite à l’afflux des Séfarades expulsés d’Espagne après 1492. Les vitrines consacrées aux objets de culte, aux principaux rituels et aux fêtes juives, puis aux vêtements traditionnels juifs saloniciens, contrastent brutalement avec la salle sur l’Occupation allemande, les ghettos, le port de l’étoile et la déportation des Juifs de Thessalonique dont 96 % sont exterminés.

Intensité de la vie communautaire avant 1940
Jusqu’à l’incorporation de Salonique à la Grèce en 1912, les Juifs sont majoritaires et jouent un rôle décisif dans la modernisation de la ville portuaire, de ses institutions, de son économie, et aussi de son système éducatif grâce à l’Alliance israélite universelle. L’exposition du musée met en valeur des familles illustres de banquiers et industriels juifs, au cœur du commerce international de tabac, de textile et de céréales.
Des agrandissements d’anciennes cartes postales montrent les villas cossues que ces entrepreneurs font construire dans le nouveau quartier des Campagnes, à l’Est de la ville, en bord de mer : les villas Allatini, Modiano, Mordoch, Fernandez (Casa Bianca) …
Plusieurs de ces demeures de style éclectique ou Art nouveau existent encore aujourd’hui, sur l’avenue Vassilissis Olgas (Reine Olga). Les anciens moulins Allatini, minoterie à vapeur reconstruite en 1898, monument classé du patrimoine industriel urbain, sont à l’abandon, en attente de réhabilitation. Le développement du mouvement syndical et l’entrée des femmes sur le marché du travail, en particulier dans les usines de tabac, bouleversent la vie juive traditionnelle. La vie sociale juive se modernise : les clubs, les sports, les bibliothèques et les écoles du soir attirent les familles. Dans les nouveaux quartiers destinés aux familles sinistrées dans l’incendie de 1917, la pauvreté règne, raison pour laquelle sont créés des organisations d’aide sociale et de bienfaisance. Des dizaines de photographies, de journaux, documents et objets divers témoignent de l’intensité de la vie communautaire avant 1940.
Au sous-sol, la nouvelle salle de l’enfance juive et celle des trésors musicaux méconnus de la tradition juive de Grèce terminent le parcours du visiteur. L’Université Aristote de Thessalonique et le musée juif ont mené une recherche d’archives scolaires et recueilli des données sur les élèves juifs de Thessalonique avant la Shoah. Selon ces archives, 7.500 élèves juifs résidaient à Thessalonique en 1943, et seulement 58 en 1945 ! Des photographies, des vêtements, des jouets, des objets scolaires évoquent la mémoire de tous ces enfants assassinés. Un ordinateur permet au visiteur de rechercher des informations sur 3.500 d’entre-eux à l’aide de l’application numérique « Cartographier l’enfance » en grec et en anglais. Une carte interactive de Thessalonique y illustre les lieux de résidence de chaque élève ou de groupes d’élèves.

Musée Juif de Thessalonique
Rue Agiou Mina 11, 546-46
Lundi-vendredi 9-14h (mercredi 9-14h et 17-20h) ; dimanche 9-14h
Proche du Musée juif et érigé face au marché Modiano après le tremblement de terre de 1978, l’immeuble du Centre communautaire juif de Thessalonique, abrite le centre d’archives de la communauté ainsi que la synagogue Yad Lezikaron, lieu de culte au quotidien et mémorial des Juifs assassinés ainsi que des synagogues disparues de la ville. Vers 1900, Salonique compte une soixantaine de synagogues et oratoires. Un patrimoine anéanti dans l’incendie de 1917 et la Shoah. Épargnée suite à sa réquisition par la Croix-Rouge allemande, la synagogue Monastirioton, de style néo-byzantin, inaugurée en1927, accueille aujourd’hui les grandes fêtes et cérémonies officielles de la communauté.
Occultation grecque et vandalisme antisémite
En 1997, Thessalonique inaugure le premier mémorial de la Shoah érigé dans l’espace public en Grèce. Ce monument, œuvre de Nandor Glid, auteur du mémorial de Dachau, est installé en 2006 place Eleftherías où le 11 juillet 1942, les nazis rassemblent 9.000 hommes juifs de 18 à 45 ans, soumis à des humiliations et des violences en plein soleil avant d’être envoyés aux travaux forcés. Également surnommée le Shabbat noir, cette rafle est la première opération antisémite de grande envergure, prélude aux déportations de 1943 vers Auschwitz-Birkenau. Proche du Musée juif, cette place est un parking à ciel ouvert dont le projet de réaménagement tarde à se réaliser et le monument est la cible d’actes antisémites. À l’Est de la vieille ville, le vaste cimetière juif contenait plus de 300.000 tombes. Fin 1942, sur ordre allemand, il est détruit par les ouvriers municipaux grecs. Les pierres tombales sont réemployées dans toute la ville. Le 9 novembre 2014, sur le campus de l’Université Aristote, construite après-guerre à l’emplacement du cimetière, en présence du recteur de l’université et de la communauté juive, le maire de Thessalonique, Yiánnis Boutáris, inaugure un monument dédié à la nécropole juive éradiquée et dénonce l’occultation de cette honteuse destruction par les autorités municipales. Proche de l’observatoire du campus de l’université, ce monument mal signalé reste l’objet d’actes de vandalisme antisémite…
Le 29 octobre 2024 à Thessalonique, le président allemand et la présidente grecque visitaient le chantier du Musée de la Shoah en Grèce (Holocaust Museum of Greece). Ce futur musée est proche du quartier juif disparu du Baron Hirsch, qui fut transformée en 1943 en ghetto de transit, où les Juifs de Thessalonique étaient rassemblés avant leur déportation. Il se construit à côté des rails de l’ancienne gare de Thessalonique d’où partirent 19 convois avec 46.061 Juifs, du 15 mars au 2 août 1943. Érigé en forme de grande tour octogonale ce nouveau musée offrira au visiteur une vaste vue panoramique de la grande ville portuaire.






