En invitant des dirigeants de partis européens d’extrême droite à participer, les 26 et 27 mars 2025 à Jérusalem, à une conférence consacrée à la lutte contre l’antisémitisme, le gouvernement israélien a posé un acte politique inacceptable et impardonnable. Qui aurait un jour imaginé que le gouvernement israélien confère un brevet de respectabilité à ceux que les institutions juives européennes ne considèrent ni comme un rempart contre l’antisémitisme ni comme un partenaire pour lutter contre ce fléau ? Personne, ou presque.
Que ce soit en France (RN et Reconquête) ou en Belgique (Vlaams Belang), les dirigeants de l’extrême droite s’empressent de dénoncer l’antisémitisme lorsqu’il s’exprime au sein de la gauche radicale et parmi les communautés musulmanes. Cependant, ces mêmes dirigeants perpétuent des discours antisémites et ne prennent pas de mesures fermes lorsque des incidents sont provoqués par des membres de leurs formations, qu’il s’agisse de cadres, d’élus ou de militants.
Cela n’a rien d’étonnant, car ces partis ne peuvent se référer à la moindre tradition de lutte contre l’antisémitisme. En revanche, ils peuvent tous se prévaloir d’une histoire et d’une mémoire où la haine des Juifs est très présente, à tel point qu’elle constitue même un fil rouge et un code de ralliement. Les enquêtes d’opinion confirment d’ailleurs chaque année que les électeurs des partis d’extrême droite adhèrent encore très largement à des préjugés antisémites. Ce qui confère encore aujourd’hui à ces partis le label antisémite-friendly, bien qu’ils n’en aient plus le monopole.

Même lorsqu’ils prétendent avoir rompu avec l’antisémitisme d’anciens responsables de leurs partis, les dirigeants actuels de l’extrême droite continuent de les cautionner. Ainsi, parmi les personnalités que le gouvernement israélien a invitées à disserter sur la lutte contre l’antisémitisme, Marion Maréchal-Le Pen, députée européenne de Reconquête et ancienne députée du Front national (2012-2017), a clairement revendiqué l’héritage politique de Jean-Marie Le Pen, pourtant mû par l’antisémitisme jusqu’à son dernier souffle. « Tu as suscité, tout au long de ta vie, des centaines de milliers de vocations. Tu as permis, longtemps seul contre tous, que des millions de Français soient de nouveau fiers d’eux-mêmes et de leur pays. Merci pour tout cela », a-t-elle écrit sur X. Également hôte de la conférence de Jérusalem, le président du RN, Jordan Bardella, a qualifié Jean-Marie Le Pen de « visionnaire » et n’a pas manqué de souligner « son engagement pour la souveraineté nationale » ! Ce n’est guère mieux en Belgique. En mars 2024, après la condamnation d’un député et de plusieurs militants du Vlaams Belang pour antisémitisme et négationnisme, Tom Van Grieken, le président du parti, a réagi en affirmant qu’ils étaient victimes d’un « procès politique » et d’une « justice de plus en plus pourrie ».
Cette conférence s’ajoute à la dérive illibérale et autoritaire de la droite israélienne. Sous Menahem Begin, dirigeant historique de la droite nationaliste israélienne, fondateur du Likoud et Premier ministre entre 1977 et 1983, une telle conférence aurait été impensable. Profondément marqué par l’antisémitisme polonais et la Shoah, Menahem Begin était particulièrement hostile à toute forme de rapprochement avec des mouvements ayant des racines fascistes ou antisémites. Son successeur, Yitzhak Shamir, nationaliste bien plus intransigeant que Begin, a scrupuleusement suivi cette ligne de conduite. Et contrairement à Benjamin Netanyahou et aux membres de son parti (Likoud), Menahem Begin et Yitzhak Shamir ont toujours respecté les règles du jeu démocratique et n’ont jamais cherché à affaiblir les contre-pouvoirs. Bien qu’ils aient tous les deux incarné une droite nationaliste dure, ils croyaient fermement qu’Israël devait être un État de droit garantissant les valeurs démocratiques.
Cette conférence de la honte ne figurera jamais dans les annales de la lutte contre l’antisémitisme. En revanche, elle apparaîtra immanquablement dans les manuels d’histoire, où elle illustrera le combat obsessionnel que mènent à travers le monde les dirigeants populistes pour détruire les structures démocratiques, l’État de droit et ses contre-pouvoirs.