Israël réussira-t-il son déconfinement comme il a réussi à gérer le début de la crise du coronavirus ? L’efficacité de sa réaction à l’arrivée de la pandémie a en effet été unanimement saluée. Combinant fermetures des frontières, tests massifs, « tracking » des patients et quarantaine obligatoire, les autorités n’ont pas hésité à adopter une dernière mesure drastique : le confinement avec même un couvre-feu total le temps des fêtes de Pessah. Ainsi, les Israéliens ont-ils bien résisté à l’épidémie avec environ 200 morts et 15.000 cas fin avril sur une population de 9 millions d’habitants.
Mais déjà un autre défi se profile : la sortie du confinement ; une phase risquée sur le plan sanitaire aux conséquences socio-économiques potentiellement dévastatrices. Le coronavirus va provoquer la plus grave crise économique mondiale depuis la Grande Dépression, prévient le FMI. Celui-ci, plus pessimiste que la Banque d’Israël (qui table sur une récession de 5,3%), prévoit une contraction du PIB de 6,3% cette année, suivie d’une croissance de 5% en 2021.
Le taux de chômage explose à 26% en Israël, il devrait finalement atteindre les 12%. Un choc pour une nation qui ne comptait que 3% de chômeurs il y a encore quelques mois. Les projections concernant les faillites des entreprises font froid dans le dos : 50% d’entre elles pourraient ne jamais se relever de la pandémie, contre 25% en moyenne dans le monde. Israël qui fait partout figure de modèle dans sa gestion de la crise du covid-19 pourrait s’effondrer et finir par devenir le mauvais élève de l’OCDE.
Un déconfinement par étapes
Face à cette catastrophe annoncée, les milieux d’affaires ont très tôt appelé à la reprise de l’activité économique. Le 19 avril, après cinq semaines de confinement, Benjamin Netanyahou a annoncé sa levée progressive. Mais ses choix interrogent : sont prioritaires la high-tech et les finances, pourtant rompus au télétravail, tandis que restaurants, magasins et espaces culturels devront attendre. Les fractures sociales vont s’aggraver avec la prospère Tel-Aviv face à une périphérie exsangue, mais aussi la guerre entre laïques et religieux. Les rassemblements sportifs sont interdits, mais les prières autorisées jusqu’à 20 personnes. Une façon pour Netanyahou de dorloter ses alliés haredim (ultra-orthodoxes). Sa dérogation accordée à IKEA scandalise au moment où les centres commerciaux doivent garder portes closes et ne trouve aucune explication, hormis le fait que les frères Bronfman, propriétaires d’IKEA en Israël, sont ultra-orthodoxes.
Encore le bon déroulement du déconfinement est-il conditionné par plusieurs facteurs. Pour le Professeur Ronni Gamzu, en charge de la lutte contre le covid-19 chez les aînés, il est impératif de maintenir la distanciation sociale et les gestes barrière. Cela contraint les entreprises à acquérir du matériel pour leurs employés et clients (masque obligatoire, gants, gel hydroalcoolique, thermomètre frontal) et à réorganiser leur espace si elles prétendent au « label violet » (Tav Sagol), les autorisant à rouvrir. Deuxièmement, les dépistages doivent concerner toute la population (et pas seulement les symptomatiques) afin d’obtenir le tableau épidémiologique le plus précis possible. Fort heureusement, les pouvoirs publics, les chercheurs et même le Mossad ont été sollicités pour faire face à la pénurie mondiale de matériel médical, de sorte qu’Israël ne manque ni de masques ni de kits de tests. Troisièmement, les services publics et les écoles doivent être aménagés, ce qui repousse la rentrée scolaire. Enfin, les personnes vulnérables (plus de 67 ans, malades chroniques) resteront confinées au maximum. Le système de santé pourra supporter 100 à 200 nouvelles infections au covid-19 par jour après la levée totale du confinement, mais pas plus.
Le déconfinement prendra donc du temps. Il ne s’agit pas encore de penser l’après, mais de vivre avec le virus. Une deuxième vague de contaminations est d’ailleurs possible, met en garde l’épidémiologiste Marc Lipsitch, le professeur de Harvard qui parle à l’oreille du Premier ministre. Selon lui, un reconfinement total est inutile, même si Israël a raison de s’être figé pendant les célébrations de Yom Hazikaron et Yom Haatzmaout, où se rendent d’ordinaire des foules immenses. De même, la crise oblige les familles musulmanes à fêter le Ramadan seules, comme les Juifs ont dû le faire à Pessah. En cas de nouveaux foyers infectieux, seul un cloisonnement local sera appliqué au niveau d’un quartier, d’une ville (Bnei Brak), voire d’une région (les localités arabes de Galilée).
Un plan de relance économique trop flou
Pour accompagner le déconfinement, le gouvernement a déployé un plan de sauvetage de l’économie de 21 milliards d’euros, soit le plus important de l’histoire d’Israël. Du moins sur le papier.
En réalité, un mois après l’annonce du plan, moins de 8 milliards d’euros avaient été dépensés, révèle le journal Calcalist, qui dénonce une simple opération de relations publiques. Les budgets manquent, les prêts tardent à s’enclencher, certains ajustements ne sont pas enregistrés au Trésor, des fonds d’aide toujours pas constitués, comme ceux dédiés aux PME et aux 500.000 travailleurs indépendants et propriétaires de TPE, touchés de plein fouet par la crise.
« Regardez mon portefeuille, il est vide ! Je n’ai plus un shekel, plus rien à donner à manger à mes enfants ! », a lâché entre deux sanglots Yuval Carmi sur la chaîne 13 devant son stand de falafels fermé à Ashdod. Ce cinquantenaire à l’allure bonhomme, Crocs aux pieds et kippa sur la tête, est devenu le visage de la crise économique en Israël. Comme lui, ils sont des milliers d’honnêtes travailleurs et contribuables modèles à se retrouver sur la paille. Abandonnés par l’Etat, sans aide, alors que charges et loyers courent, ils réclament des comptes au gouvernement.
Une instabilité politique qui risque de durer
Israël a le malheur d’affronter un chaos économique au moment où il vit la pire crise politique de son histoire. Certes, après trois élections, l’alliance entre Netanyahou et Benny Gantz permet de sortir de l’impasse. Mais pour combien de temps ? Leur gouvernement est aussi pléthorique (36 ministres, du jamais vu) que son espérance de vie est courte. Beaucoup lui prédisent un effondrement avant 18 mois, quand Netanyahou devra céder son fauteuil de Premier ministre.
En attendant, l’arrivée du gouvernement d’urgence s’accompagne d’une petite musique avantageuse pour le pouvoir. L’alliance des deux rivaux impose de taire les critiques pendant qu’ils luttent contre le covid-19. Face à la colère qui gronde quand même, Netanyahou se charge de désigner les coupables : les fonctionnaires timorés et autres représentants de « l’Etat profond » et même les experts de la Santé qui ont poussé au confinement au risque de sacrifier l’économie.
Quant à la ligne économique qui prévaudra une fois l’urgence passée, nul doute que Netanyahou puisera dans les recettes néolibérales dont il est adepte. Ministre des Finances au lendemain du krach boursier de 2001-2002, il avait coupé dans les budgets et reculé l’âge de la retraite ; décisions qui ont permis à Israël d’échapper à la récession lors de la crise de 2008. Celle qui se présente sera autrement plus rude. Gageons qu’elle ne fera pas davantage de victimes que le coronavirus.
La police a commencé par les verbaliser, mais ne le fait plus ; après tout, les automobilistes respectent les fameux gestes barrière. Mais les manifestants pourraient vite s’en affranchir. La crise économique est trop violente, ses victimes trop nombreuses. Les petits entrepreneurs et travailleurs indépendants laissent désormais échapper leur rage face à un gouvernement qui les abandonne. Vêtus pour la plupart de rouge, ils manifestent dans tout le pays, bloquent des routes et brûlent des pneus devant la Knesset. Sans plus de distance réglementaire, mais toujours avec un masque.
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