Sur la route de Jérusalem…

Laurent-David Samama
Pérégrinant à travers Israël en quête d’un second souffle, Qui-vive (Éditions de l’Olivier) de Valérie Zenatti, met en scène la trajectoire d’une femme tourmentée dans un monde écrasé par les tragédies. Un roman magistral et sensible.
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La littérature est pétrie de curieux hasards. Qui-vive, septième roman de Valérie Zenatti, road-trip personnel et sensoriel à travers Israël, sort en librairie alors même que l’État hébreu est sous le feu de l’actualité, ses citoyens otages toujours retenus dans les tunnels du Hamas, et Gaza détruit pour longtemps. Que peut la littérature en ces moments pénibles ? Rien et tout à la fois, si tant est qu’elle est prodiguée par des âmes conscientes et de bons littérateurs. Zenatti en fait partie. Elle signe, disons-le sans détour, un livre formidable, l’un des tous meilleurs romans de cette rentrée d’hiver. Une vraie réussite permise par une maison intelligente, L’Olivier, et ses deux maîtres à bord inspirés, Olivier Cohen et Nathalie Zberro.

Œuvre précise et sensible, Qui-vive se distingue également par sa modernité. La dynamique de cette histoire n’est pas banale : elle raconte le parcours d’une héroïne qui, en quête de liberté, va prendre la route. Le voyage est à la mode, on le sait. Mais désormais, à la manière d’un filon, trop de livres mettent en scène des écrivains voyageurs, des aventuriers virils partis à la conquête d’un ailleurs exotique et mythifié. À la longue, il y a fort à parier que le lecteur finira certainement par se lasser de ce male gaze sur pilote automatique mâtiné de réaction à la Sylvain Tesson. À l’inverse, rares sont les auteurs prenant le parti de troquer leur Indiana Jones de pacotille pour des protagonistes on ne peut plus réels. Et voilà donc Zenatti ! Quête de soi et recherche de l’autre. Il y a dans Qui-vive un certain souffle de vérité ajouté à la langueur de vivre, la pesanteur du monde et quelques motifs éminemment romantiques, à commencer par la nuit et l’errance, toutes deux omniprésentes. Mais aussi, comme son titre l’indique, une éperdue volonté de vivre, de circuler, de se confronter au réel pour retrouver son chemin. On trouvera au fil des pages une rare et fascinante exploration de l’État juif hors des sentiers battus, de Tel-Aviv à Capharnaüm et jusqu’à Jérusalem. Sur les petites routes, en auto-stop, dans les bouis-bouis. Un pays empreint de complexité, bien différent de celui perçu par la lorgnette des chaînes d’information en continu. Une fois n’est pas coutume, voilà Israël raconté par le biais de ses sentiers cachés, ses chemins de traverse et les personnages intenses qui le peuplent. Un pays que Valérie Zenatti connaît sur le bout des doigts, puisque l’autrice est également la traductrice de l’écrivain Aharon Appelfeld.

Leonard Cohen comme une boussole sur les chemins d’Israël

Israël donc, pas dans n’importe quel contexte. Mathilde est devenue insomniaque. Puis elle a perdu le sens du toucher. Il y a eu d’autres signes notables : des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, le retour de la guerre en Europe. La voilà dépassée. Est-ce pour cela qu’elle décide subitement de prendre un avion pour Israël ? Le réflexe est vieux comme l’est l’Occident : pour trouver la réponse à nos déséquilibres existentiels, on se tourne souvent vers Jérusalem. Bien sûr, le tourment de Mathilde a des explications rationnelles. Le 11 novembre 2016, par une alerte « push » envoyée sur son téléphone, cette dernière apprend la mort de son idole, Leonard Cohen. Sur le plan intime, c’est une déflagration ! « J’ai lu son nom, son âge, le fait qu’il était mort, et j’ai eu la poitrine crochetée de stupeur, parce que Donald Trump venait d’être élu président des États-Unis. » Bouée de sauvetage pour temps troublés, Cohen deviendra bientôt une obsession pour la narratrice, dans ses nuits agitées, ses réflexions sur la vie, ses pérégrinations. 

Au fil des pages, le grand Leonard devient l’incarnation d’une forme d’idéal, une boussole. Le livre raconte une anecdote adorée des fans du Ladies’man : en octobre 1973, ce dernier fit une tournée dans le Sinaï afin de remonter le moral des troupes israéliennes éprouvées par la guerre du Kippour. Un moment suspendu dont il ne subsiste que quelques témoignages et une poignée de photos jaunies par le temps. Il est vertigineux de concevoir que tout cela fut écrit bien avant le 7 octobre et ses suites.

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