Négociateur de l’Agence juive à l’ONU pour le plan de partage de la Palestine mandataire en 1947 et ministre israélien des Affaires entre 1966 et 1974, Abba Eban a souvent répété avec son humour british d’ancien étudiant de Cambridge que les Arabes, et les Palestiniens en particulier, « n’ont jamais manqué une occasion de manquer une occasion ». Ils ont rejeté en 1937, en 1947, et bien d’autres fois encore, des propositions qui auraient pu leur permettre de vivre dans un État souverain aux côtés d’Israël. Cette formule entrée dans la postérité concerne hélas aujourd’hui les Israéliens.
En effet, depuis que le président français a annoncé qu’il reconnaitra solennellement l’État palestinien ce mois-ci lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York et que dans son sillage, d’autres États occidentaux ont pris un engagement similaire, le gouvernement israélien n’a cessé de dénoncer virulemment cette initiative. Il y voit une « décision honteuse » qui « récompense la terreur » et juge qu’il est désormais « temps d’appliquer la souveraineté israélienne » en Cisjordanie. Le 23 juillet dernier, la Knesset a joint le geste à la parole en adoptant une motion appelant le gouvernement à annexer la Cisjordanie dans le but affirmé de « retirer de l’ordre du jour tout projet d’État palestinien ». Et depuis lors, le gouvernement multiplie les décisions visant à « enterrer l’idée même d’un Etat palestinien ».
Ce gouvernement entend également poursuivre une guerre insensée à Gaza, et ce, bien qu’un rapport interne de Tsahal ait conclu que l’opération Les charriots de Gédéon, en cours depuis le 25 mai 2025, n’a pas réussi à atteindre ses objectifs : ramener les otages et vaincre le Hamas. Pire, il déplore qu’Israël a commis « toutes les erreurs possibles » et ne s’est pas montré « fidèle à sa doctrine » !
Si mettre fin à la guerre à Gaza et à son lot d’atrocités demeure la priorité absolue, la reconnaissance de la Palestine peut représenter une occasion à ne pas manquer. En étant menée avec sérieux et dans l’esprit du partage, elle peut enfin donner corps à cette promesse trop longtemps différée : deux peuples, deux États, vivant côte à côte dans la dignité et la sécurité. Car l’évidence s’impose : la guerre à Gaza a épuisé en vain des ressources israéliennes et elle a surtout entamé la légitimité internationale d’Israël. Or, seule la reconnaissance de l’État palestinien, en miroir de celui d’Israël, peut briser ce cercle de la délégitimation. Elle peut aussi ouvrir la voie à la seule option raisonnable qui confère à chacun sa souveraineté et mettre fin à l’alternative irréaliste et dangereuse d’un État unique de la mer au Jourdain. Qu’il soit conçu comme un État exclusivement israélien ou comme un État binational, l’État unique conduirait soit à l’inégalité permanente, soit à la dissolution de l’identité nationale juive. Dans les deux cas, il n’apporterait ni justice ni paix. Il s’agit donc de la recette parfaite pour réussir le cocktail indigeste de la guerre civile permanente. La reconnaissance de la Palestine, si elle s’accompagne d’engagements de paix et de sécurité, est au contraire le seul antidote à cette dérive.
Reconnaître la Palestine, ce n’est donc pas une concession faite aux Palestiniens aux dépens des Israéliens, mais seulement l’aboutissement de la logique du partage de la terre, commencée en 1937 avec le plan Peel et confirmée en 1947. Alors, peut-être, cette fois-ci, nous pourrons dire que « ne jamais manquer une occasion de manquer une occasion » aura enfin trouvé sa contrepartie : l’occasion de reconnaître deux États et d’en faire la base d’une paix durable.







