Les Sœurs Jacob (Éditions Les Arènes) est un roman graphique polyphonique. Il ravive les voix de Simone, Denise et Milou Jacob, entre enfance lumineuse, déportation et reconstruction. À travers archives et témoignages, il révèle la force du lien entre Simone Veil et ses deux sœurs, magnifiée par l’écriture de Marie Desplechin et les illustrations sensibles de Fred Bernard.
Les sœurs Jacob est un roman graphique exceptionnel, dont le texte polyphonique donne la parole à Simone, Denise et Milou Jacob. Basé sur des interviews, lettres, journaux intimes et documents, il a d’abord fait l’objet d’un film et d’un livre. Le scénario de la version graphique a été rédigé par Marie Desplechin et les illustrations réalisées par Fred Bernard.
Dans l’introduction, David Teboul explique qu’il a rencontré Simone Veil alors qu’il voulait réaliser un film sur son enfance et ses années de déportation. Très vite, il a compris que pour connaitre Simon Veil, il devait aussi rencontrer sa sœur, Denise. Il a donc filmé cette dernière évoquant leur enfance à trois, à Nice. Ensuite, il a filmé Simone et Denise ensemble, ce qui a fait émerger un nouveau regard : « Avec Denise, Simon Veil abandonnait son tailleur officiel, ‘‘la grande Simone’’ comme l’appelait son aînée avec une pointe d’ironie et de tendresse, redevenait « la petite dernière ». Le dialogue des sœurs mettait aussi en évidence l’ombre des disparues, Milou, leur ainée et Yvonne, leur mère adorée.
David Teboul a donc désiré donc retrouver cette troisième voix, la voix de Milou, surtout qu’elle a été une seconde mère pour ses cadettes. C’est à partir des lettres adressées à ses sœurs et du journal qu’elle a rédigé avant et après sa déportation qu’il l’a reconstruite. Les sœurs Jacob fait alterner la voix des trois sœurs avec intelligence et sensibilité. Le récit commence par l’évocation tendre d’une enfance heureuse à Nice, dans le rayonnement de l’amour d’une mère mélancolique depuis qu’elle vit loin de ses sœurs, et d’un père austère. La famille Jacob, c’est une famille juive française, patriote et laïque comme tant d’autres en France à la même époque.
Avec complicité et nostalgie, les sœurs évoquent leurs chamailleries, la relation fusionnelle qui unissait Simone et sa mère, sa déception d’hériter des robes de ses aînées. Elles parlent aussi de leur petit frère, Jean, passionné de photographie. Au moment des premières mesures antisémites, la confiance du père l’emporte sur la méfiance de Simone.
Solidarité dans l’épreuve
À travers des extraits d’échanges épistolaires, d’interview, de journaux intimes, elles évoquent ensuite la période de la guerre, leur séparation et les débuts de Denise dans la Résistance. L’arrestation de la famille en mars 1944, et leur déportation en avril 1944 dans le même convoi que les enfants d’Izieu, est également racontée par Simone et Denise en alternance, à travers des faits, des souvenirs, des impressions. Elles décrivent la cruauté des surveillantes, la rencontre avec Marceline et Ginette, dont les récits se mêlent un moment à celui des sœurs Jacob, affirmant leur solidarité dans l’épreuve. Elles racontent ce qu’elles ont vécu, mais partagent aussi des anecdotes, des perceptions. En parallèle, le lecteur découvre les dangers affrontés par Denise dans la Résistance, son arrestation et les séances de torture.
À la fin de la guerre, les sœurs se retrouvent chez leur oncle et leur tante à Paris. L’appartement vide avec ses miroirs brisés reflète le sentiment désolation des survivants. Il faut réapprendre le moindre geste du quotidien, affronter le regard des autres, un sentiment écrasant de solitude. Les déportées ne se sentent comprises que par les autres déportées, et c’est la même chose pour les Résistantes. À cela s’ajoutent des tracas matériels, comme la difficulté de payer des factures d’électricité et ses impôts après les années de guerre, et la peur d’avoir perdu la capacité de penser, de réfléchir.
Même alors, les sœurs témoignent à leur mère leur amour inconditionnel, comme en témoigne cette lettre si émouvante dans laquelle elles expriment leur affection, le sentiment de sa présence à leurs côtés et leur désir de lui ressembler.
Le récit des années d’après-guerre met également en évidence l’asymétrie du regard sur les Résistants et sur les rescapés. Autant le témoignage de Denise est recherché, car c’est une résistante, autant celui de Simone reste ignoré pendant longtemps.
Le sentiment le plus fort qui se dégage de ces fragments croisés, réunis avec tant de finesse, est avant tout celui d’un amour profond qui donne à ceux qui le partagent la force de vivre, de construire l’avenir et d’aimer. Les superbes dessins de Fred Bernard et ses choix de couleur donnent vie aux textes et mettent en valeur la centralité des liens.






