Le contrôle israélien du Golan

Frédérique Schillo
En reconnaissant officiellement la souveraineté d'Israël sur le plateau du Golan, Donald Trump a défait un demi-siècle de diplomatie au Moyen-Orient. Mais est-ce la meilleure façon de servir les intérêts israéliens quand il annonce en même temps le retrait des soldats américains de Syrie ? Tsahal peine aujourd’hui à y endiguer la menace de l’Iran.
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Tsahal l’appelle le « dossier Golan ». Mi-mars 2019, l’armée israélienne a révélé l’existence d’une cellule terroriste de plusieurs centaines de combattants dotés d’explosifs, d’armes légères et de missiles antichars, établis dans la zone syrienne du plateau du Golan en lien direct avec Damas et Beyrouth. Leur but : ouvrir un second front contre Israël en cas d’attaque du Hezbollah au Liban. Leur particularité : ces miliciens chiites pro-Iraniens payés par le Hezbollah opèrent sur le Golan à l’insu du président syrien Bachar al-Assad. Les responsables de Tsahal sont formels : ils ont diffusé une vidéo du chef du réseau, le Libanais Ali Moussa Abbas Dakdouk, connu pour avoir mené des attentats contre des soldats américains en Irak.

La diffusion des images de Dakdouk interroge. Certains s’émeuvent que Tsahal ait préféré une campagne médiatique mettant le dossier Golan en lumière à une opération militaire qui l’aurait définitivement renvoyé dans l’ombre. Selon le général israélien à la retraite Amiram Levin, la raison est à trouver dans une autre campagne, électorale cette fois, le Premier ministre et ministre de la Défense Benjamin Netanyahou souhaitant faire valoir son rôle de « Monsieur Sécurité » à moindres frais avant les élections du 9 avril. Pour d’autres, la vidéo de Tsahal fait office d’ultime mise en garde avant une attaque ciblée. En janvier, Tsahal n’hésitait pourtant pas à annoncer en direct ses frappes contre des cibles iraniennes à l’aéroport de Damas. L’existence du réseau Dakdouk soulève un autre problème, plus aigu encore : l’incapacité d’Israël à empêcher l’Iran de s’établir à sa frontière, qui plus est sur le très stratégique plateau du Golan.

« Le peuple avec le Golan »

Il existe un consensus chez les Israéliens à propos du Golan, dont l’occupation, pourtant condamnée par la communauté internationale, serait si essentielle à leur survie qu’ils ne pourraient s’en retirer. Conquis en partie par Tsahal pendant la guerre des Six Jours en 1967, ce plateau de 1.900 km2 a été le théâtre d’épiques batailles de tanks suite à l’attaque-surprise des Syriens en 1973. Depuis l’accord de désengagement de 1974, les Israéliens en occupent la majeure partie (1.159 km2). Ce territoire surnommé « les yeux du pays » est un pan essentiel du dispositif de sécurité de Tsahal. A tel point que Menahem Begin a décidé, là encore contre le droit international, d’y étendre la loi israélienne en décembre 1981, ce qui équivaut de facto à une annexion.

Il faut dire que ce plateau montagneux niché entre l’un des pics du mont Hermon au nord, le Jourdain et le lac de Tibériade à l’ouest et la vallée du Yarmouk au sud, offre à qui le possède une supériorité topographique. Surtout, son contrôle est capital pour protéger les sources du Jourdain et le lac de Tibériade, principal réservoir d’eau d’Israël. Ajoutons à cela les 20.000 Israéliens qui s’y sont établis (soit presque aussi nombreux que les Druzes), et une histoire biblique y situant la frontière du Royaume d’Israël, héroïquement défendue jusqu’au suicide à Gamala, sorte de Massada du Nord dans le récit de Flavius Josèphe, et se déploient tous les arguments qui justifient pour Israël de le raccrocher à ses cartes d’état-major comme à son récit national. « Le plateau du Golan restera à Israël pour toujours », assure Netanyahou ; son grand rival Gantz promettant en écho qu’« Israël ne se retirera jamais du Golan ».

Cela n’a pourtant pas toujours été le cas, des dirigeants israéliens, dont Netanyahou, étaient prêts à l’échanger contre la paix [voir encadré]. Que valent donc les avantages topographiques à l’ère des missiles, s’interrogeait déjà en 1993 Shimon Peres dans Nouveau Moyen-Orient ? Le chef d’état-major adjoint Amnon Lipkin-Shahak déclarait alors qu’une ambassade syrienne en Israël serait plus utile qu’une station de renseignement sur le plateau. En réaction, les opposants au retrait lancèrent une intense campagne. Leurs autocollants bardés du slogan « Le peuple est avec le Golan » fleurirent partout. Ils n’eurent aucun mal à convaincre de poursuivre l’occupation d’un territoire, où la question du contrôle d’un autre peuple se pose moins intensément qu’en Cisjordanie. L’histoire leur donne raison 25 ans plus tard. La Syrie de Bachar al-Assad est ravagée par une guerre civile qui a fait plus de 370.000 morts. Le conflit est palpable en Israël, Damas étant à seulement 60 km de la frontière sur le Golan. Personne n’ose imaginer ce qui se serait passé si l’allié de Téhéran avait occupé ce balcon sur Israël.

Entre fausse promesse et incantation

Pour  autant, Tsahal ne peut empêcher l’Iran de se déployer, comme l’a révélé le projet Golan. Avec, en corollaire, un constat non moins alarmant sur les soutiens de Washington et Moscou à Israël. Amos Harel a raison de demander dans Haaretz ce que Poutine a fait de sa promesse. La création du réseau Dakdouk, à l’été 2018, coïncide en effet avec l’abandon par Netanyahou de son appui aux rebelles syriens sur le Golan en échange de l’assurance russe d’obliger l’Iran et ses milices à reculer de 80 km derrière la frontière. A l’évidence, le Hezbollah agit comme il l’entend. Après s’être péniblement relevé de l’incursion de Tsahal en 2006, puis avoir sacrifié ses hommes pour soutenir Assad, il est aujourd’hui plus puissant que jamais, pointant des missiles iraniens contre Israël, lequel a heureusement détruit ses tunnels terroristes dans le Nord.

L’appui de Washington n’est pas plus efficace. Il a suffi d’un tweet à Donald Trump pour défaire un demi-siècle de politique américaine au Moyen-Orient. « Il est temps pour les Etats-Unis de reconnaître pleinement la souveraineté d’Israël sur le Golan », a-t-il écrit sur Twitter avant de signer cinq jours plus tard le décret officialisant cette reconnaissance, brisant ainsi le consensus international autour de la résolution 242 sur le retrait israélien des territoires occupés. Ce geste unilatéral comme Trump aime les faire est avant tout un cadeau de campagne à son ami Netanyahou, dont certains alliés rêvent déjà d’annexer la Cisjordanie. Mais il est permis de douter de son impact stratégique, notamment quand l’on sait que c’est ce même Trump qui a annoncé retirer toutes ses troupes de Syrie, avant qu’Israël ne le supplie d’y laisser quelques soldats. S’agissant de sécurité, une politique incantatoire ne remplacera jamais un appui sur le terrain.

Brutal dans sa forme comme sur le fond, le geste du Président américain se révèle contre-productif. Il ouvre une boîte de Pandore concernant l’acquisition de territoires par la force, comme la Crimée de Poutine. Il réussit aussi, ce qui n’est plus vraiment un exploit, à faire l’union contre lui : l’Europe, la Russie, les membres de la Ligue arabe, tous le condamnent. Et de fait, Trump réveille les réprobations internationales sur un sujet où chacun s’accommodait plus ou moins du statu quo. Pour le dire autrement, « il apporte une solution à un problème qu’Israël n’a pas », résume l’ancien négociateur américain Aaron David Miller.

Paradoxe ultime, le Président américain légitime par avance les réactions outrées de Damas et Téhéran, lesquelles n’ont plus qu’à rappeler le droit international. « Nous attaquerons Israël à moins qu’il se retire du Golan », a déjà prévenu Faysal Merkdad, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères. De son côté, l’Iran met en garde contre des gestes susceptibles de déclencher une crise dans la région. Heureusement pour Israël, le régime des Mollahs n’a ni l’envie ni les moyens de mener une guerre. Mais il peut voir dans le geste de Trump un encouragement à armer ses milices terroristes sur le Golan. 

Le Golan en échange de la paix ?

On l’oublie souvent, mais c’est la Syrie qui a présenté le tout premier projet de paix à Israël. L’initiative revient à Housni al-Zaïm, un colonel d’origine kurde qui avait servi dans les troupes françaises du Levant, puis rejoint Vichy, et fut condamné à dix ans de prison avant d’accéder aux plus hautes fonctions militaires à force d’intrigues.

Porté au pouvoir par un coup d’Etat en 1949, il proposa à Israël non un armistice, mais un traité de paix séparé en échange de l’installation de 300.000 réfugiés palestiniens en Syrie. Ben Gourion refusa l’offre, notamment car elle ouvrait aux Syriens l’accès au Jourdain et au lac de Tibériade.

Il faut attendre 40 ans avant que ne se présente un nouveau projet de paix, les conflits de 1967 et 1973, puis l’annexion du Golan en 1980, plongeant les deux ennemis dans un état de guerre permanent. Le changement survint après la chute de l’URSS, principal soutien de la Syrie, ce qui l’obligea à se ranger auprès de Washington lors de la première guerre du Golfe. Elle accepta non sans réticence de siéger à la Conférence de Madrid en 1991. Ce fut une catastrophe. Le représentant syrien brandit une affiche « Wanted » figurant Yitzhak Shamir ; en riposte l’Israélien, un certain Netanyahou, accusa les Arabes d’être complices d’Hitler.

L’option syrienne reparut sous Yitzhak Rabin, pour qui la clé du conflit se trouvait à Damas, un Etat autrement plus menaçant que l’OLP. Las, il ne fut pas convaincu par les propositions que lui rapporta l’équipe de Clinton. Même échec en 1999 quand la Syrie négocia sur la base d’un retrait israélien du Golan, ce que dément Ehoud Barak. En mai 2008, c’est Netanyahou qui mena d’ultimes négociations sous l’égide d’Ankara. Mais là encore, elles achoppèrent sur le Golan, dont Bachar al-Assad exigea la restitution totale ; une hérésie stratégique pour Israël. 

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Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris