L’Université Libre de Bruxelles, tribune du palestinisme radical

Eric Muraille
Depuis que des activistes propalestiniens s’identifiant comme l’Université Populaire de Bruxelles (UP) ont occupé en mai et en juin 2024 un de ses bâtiments sur le campus du Solbosch, l’Université Libre de Bruxelles (ULB) peine à sortir de la tourmente du conflit israélo-palestinien et à rétablir un climat serein propice à ses activités d’enseignement et de recherche pendant que PTB transforme l’ULB en tribune du palestinisme radical.
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L’occupation du bâtiment B par l’Université populaire (UP) était soutenue par le Cercle du Comac de l’ULB, le mouvement de jeunesse du Parti du Travail de Belgique (PTB). Durant l’occupation, le Comac a fait sien le slogan « from the river to the sea » et présente dans ses communications sur les réseaux l’État d’Israël comme une occupation illégitime de la Palestine depuis 1948. Si les activités de l’UP ont diminué à l’ULB depuis l’expulsion par la police des occupants du bâtiment B, le Comac semble s’être donné pour objectif de prendre son relai et de transformer l’ULB en une tribune du palestinisme radical.

Le comac a organisé le 25 septembre 2024 au campus du Solbosch une conférence intitulée « Palestine : l’Europe complice d’un génocide » avec le député européen PTB Marc Botenga et la députée européenne LFI Rima Hassan. Il a ensuite organisé une seconde conférence sur le même thème au campus Erasme le 2 octobre intitulée « Stop à la complicité de l’Europe : Le rôle du droit international » impliquant également Marc Botenga. Dans la foulée, il a orchestré le 3 octobre dernier sur le campus du Solbosch une manifestation en solidarité avec la Palestine et le Liban où un drapeau palestinien géant a été symboliquement déployé sur l’avenue Paul Héger.

Polarisation extrême et liberté académique

La tenue de ces conférences a été contestée par plusieurs professeurs en raison de leur caractère très politique, de la radicalité des accusations de génocide portées à l’encontre d’Israël ainsi que de la polarisation qu’elles étaient susceptibles de causer au sein de la communauté universitaire. Elles ont néanmoins été autorisées par la rectrice de l’ULB Annemie Schaus qui a déclaré : « l’autorisation de la conférence de Rima Hassan a été accordée dans le strict respect de la liberté d’expression, un pilier fondamental que l’ULB défend avec conviction. » Si la liberté d’expression est effectivement une valeur fondatrice de l’ULB, celle-ci est censée s’intégrer au concept de liberté académique qui prend à l’ULB la forme du libre examen : « Examiner, en dehors de toute autorité politique ou religieuse, les grandes questions qui touchent à l’homme et à la société, sonder librement les sources du vrai et du bien, tel est le rôle de notre Université, telle est aussi sa raison d’être », déclarait en 1854 Pierre-Théodore Verhaegen, fondateur de l’ULB.

La reconnaissance des effets délétères des pressions religieuses et politiques sur l’enseignement et la production de connaissances a progressivement conduit les universités à adopter le principe d’une liberté académique dont les fondements ont été formalisés en 1915 par l’Association Américaine des Professeurs d’Université (AAUP). Cette liberté académique vise à protéger les chercheurs des pressions religieuses et politiques mais également de la « tyrannie de l’opinion publique ». Les limites de cette liberté ont aussi été posées par l’AAUP : « ce sont donc seulement ceux qui poursuivent leur travail dans l’esprit de l’enquêteur scientifique qui peuvent légitimement faire valoir cette revendication ».

Ainsi, si l’université a vocation d’être un lieu privilégié pour les échanges d’idées, tant dans les domaines scientifiques que politiques, et qu’en conséquence les conférences politiques y sont les bienvenues, celles-ci doivent néanmoins se plier aux normes de la liberté académique. Or, les conférences organisées par le Comac sont très loin de l’enquête scientifique et de la recherche de vérité. Ces conférences n’incluaient aucun débat contradictoire et se bornaient à offrir une tribune à des politiciens devant des militants convaincus de la justesse de leurs propos. De plus, les intervenants étaient loin de pouvoir prétendre à une quelconque objectivité sur le conflit israélo-palestinien.

Rima Hassan est connue pour sa dénonciation permanente de l’impérialisme occidental et du colonialisme de l’État israélien et ses accusations de génocide à Gaza. Elle a été ciblée en avril 2024 par une plainte pour apologie du terrorisme et en août 2024 par une demande de levée de son immunité parlementaire[4] pour avoir manifesté en Jordanie sous le drapeau de la branche armée du mouvement terroriste Hamas. Quant à Marc Botenga, il fait partie des 21 députés sur 700 qui ont refusé de soutenir une résolution européenne qualifiant l’attaque du 7 octobre par le Hamas d’acte terroriste. On ne s’attend donc guère à voir ces deux députés présenter une analyse objective du conflit israélo-palestinien.

Apparence d’autorité académique

Si l’autorisation de ces conférences par les autorités académiques satisfait bien l’idéal de la liberté d’expression, elle pose de sérieuses questions concernant le danger de radicalisation qu’elle entraine pour les étudiants ainsi que pour la liberté académique à l’ULB. Ces conférences exposent les étudiants, comme lors de l’occupation de l’ULB par l’UP, à des discours radicaux qui légitiment les accusations de génocides à l’égard d’Israël et banalisent la lutte armée, même lorsque celle-ci est de nature terroriste comme l’attaque du 7 octobre par le Hamas. Il faut être conscient que le fait d’être tenues dans une université et dans des auditoires de cours prête aux opinions défendues dans ces conférences une apparence d’autorité académique, alors qu’elles ne reflètent que l’analyse politique partisane et manichéenne d’un conflit extrêmement complexe.

Ces conférences et les manifestations qui y sont associées représentent également une menace pour la liberté académique. Elles peuvent être ressenties par les étudiants, les enseignants et les chercheurs comme des démonstrations de force et des menaces. Et surtout elles rendent très difficile l’expression d’une parole ou la tenue de débats en contradiction avec le récit propalestinien du conflit tel qu’il est popularisé par l’UP et le Comac. La preuve en a été donnée lors de la conférence organisée par l’ULB impliquant l’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël. Celle-ci a dû se tenir place Flagey, en dehors du campus de l’ULB, et sous très haute protection policière en raison des manifestants propalestiniens qui s’y opposaient. Malgré le blocus policier, elle fut interrompue par un représentant de l’UP qui fut invité à lire publiquement ses revendications. Après tout ce cirque, quels intervenants se hasarderont encore à l’ULB si leur discours présente le risque de déplaire aux militants propalestiniens et aux organisations qui les soutiennent ? Est-ce vraiment cela l’idéal de la liberté d’expression défendue par les autorités de l’ULB ? Soutenir toutes les paroles, même les plus radicales, en espérant que les modérés oseront encore s’exprimer sous la menace d’actions violentes ?

À l’inverse de l’ULB, les Universités américaines, qui ont été les premières victimes des occupations propalestiniennes, ont choisi la fermeté afin de préserver la liberté académique en leur sein[3]. Elles ont sanctionné les occupants et modifié leurs règlements afin de rendre plus difficiles les occupations et manifestations sauvages et elles encadrent les prises de parole par les activistes. L’ULB ferait bien de s’en inspirer si elle veut rester un lieu de débat. Comme l’a expliqué le philosophe Karl Popper dans “La société ouverte et ses ennemis”, il est nécessaire d’être intolérant à l’intolérance et à ses manifestations que sont le dogmatisme, la radicalité et la violence si l’on veut préserver la tolérance au sein d’une société ou d’une institution.

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