Samedi soir, une association d’anciens étudiants juifs organise une soirée avec projection du film israélien GETT, retraçant le procès intenté par Viviane Amsalem à son mari qui refuse de lui accorder le divorce. C’est Arash Abaie, considéré ici comme « haham », un sage, qui nous y a conviés. Après la projection, le débat dans l’assistance est animé, chacun des spectateurs exprimant son opinion. Rien de particulier, si ce n’est que nous sommes à Téhéran, capitale de la République islamique d’Iran et farouche adversaire de l’Etat d’Israël.
Symptomatique de la situation de la communauté juive après la parenthèse de la présidence Ahmadinejad : ni otage du régime des mollahs, ni sur un pied d’égalité avec les Iraniens musulmans (chiites), la communauté juive vit en autarcie, repliée sur elle-même, préférant résoudre les problèmes en interne, sans intervention extérieure.
Les Juifs en Iran, à l’instar des autres minorités religieuses -chrétiens, Arméniens, Assyriens, Chaldéens et zoroastriens- bénéficient d’un statut spécial : le droit de pratiquer en toute liberté leur culte et de gérer des institutions sociales ou éducatives, mais avec une restriction au niveau politique et de l’emploi. Ainsi, les minorités religieuses ont chacune un ou deux députés au Parlement iranien (« Majlis »), mais sont exclues des postes à responsabilités dans le gouvernement, dans l’armée, et dans certaines universités gérées par cette dernière. Pour l’emploi, la situation est moins claire : si pour un poste vacant dans le secteur public, la préférence sera généralement donnée à un musulman, au niveau du privé, par contre, les Juifs ont la réputation d’être de meilleurs travailleurs. Il en va de même à l’université, où le taux de réussite des étudiants juifs est supérieur à la moyenne (98% contre 92%).
Ahmadinejad et la Shoah
La réaction de la communauté juive aux propos d’Ahmadinejad visant à « éradiquer Israël » de la carte et sa forte sympathie pour les positions négationnistes par l’organisation d’une conférence internationale sur la Shoah, suivie du concours de caricatures, s’inscrivait dans la même ligne que son attitude vis-à-vis du régime politique en place : ne pas entendre, ne pas se mêler, courber l’échine en attendant que l’orage passe…
Les motivations d’Ahmadinejad à épouser les thèses négationnistes restent obscures : visait-il à positionner l’Iran chiite comme « héros de la cause palestinienne » et leader du monde musulman à la pointe du combat contre Israël, ou subissait-il l’influence d’un de ses conseillers et ami qui, en Allemagne, avait fréquenté les milieux négationnistes ? Suivant son habitude, le « guide suprême » Khamenei a lui réagi par… le silence, préférant ne pas se mouiller et laisser à d’autres le soin de s’exprimer à sa place pour pouvoir ensuite les soutenir ou les désavouer !
On assistera néanmoins, et ce pour la première fois dans l’histoire de la République islamique, à une réaction officielle de la part de communauté juive, par la voix de Haroun Yashayaie, alors président du Comité juif de Téhéran, qui dans une lettre officielle en janvier 2006, critiquera violemment les positions révisionnistes du président en place. Mal lui en prendra, puisqu’après plusieurs décennies de présidence, il sera contraint à la démission.
Pendant quelques années, les activités culturelles, sans lien avec la religion, connaissent des pressions et des restrictions -la projection d’un film israélien était alors impensable-, sans pour autant que la vie quotidienne des Juifs n’en soit affectée : leur statut était alors déterminé par la Constitution iranienne et ne dépendait pas du président en place. Comme le résume notre hôte Arash Abaie : « No good sensation, but it didn’t affect us ».
« Etes-vous juif ? »
Que ce soit à Téhéran, Ispahan ou Chiraz, les trois principales communautés juives d’Iran, les rites religieux sont observés par la majorité des Juifs : presque tous les magasins ferment le jour du Shabbat, et le vendredi soir, on se presse dans les nombreux lieux de culte – ces trois villes totalisent près de 50 synagogues. La présence d’un étranger dans cette société fermée suscite bien entendu des interrogations, et la question « Are you jewish ? » nous est posée à maintes reprises. Une réponse affirmative est un « sésame, ouvre-toi » qui suscite un accueil chaleureux et de nombreuses invitations à partager le repas de Shabbat.
Une illustration de l’intensité religieuse de la communauté est donnée par Chiraz, ville des poètes, des roses et du… vin, qui compterait 8.000 membres, dont on dit que plus de 90% observent les traditions religieuses.
Certes, l’arrestation en 1999 de 13 Juifs, accusés d’espionnage au profit d’Israël, mais relâchés par la suite, a laissé des traces. Si, ici aussi, la question « Are you jewish ? » revient comme un leitmotiv, une réponse positive ne délie pas (toutes) les langues, car, du moins sur papier, une autorisation du Conseil islamique est exigée pour pouvoir fréquenter les lieux de culte. C’est à la synagogue « Rabezade » (photo ci-contre), non loin du « Zand » -l’artère commerçante de la ville-, que nous rencontrons Baruch (nom d’emprunt). Il travaillait comme ingénieur à la centrale électrique de Chiraz lorsque, sans explications, des hommes de la sécurité sont venus l’arrêter. Placé en isolement dans une cellule, il a été torturé et obligé d’avouer devant les médias qu’il était un espion d’Israël. Aucune preuve ne fut jamais avancée et après cinq ans passés en prison, il fut libéré, sous les pressions internationales. Il garde néanmoins des séquelles physiques et surtout une angoisse morale : pourtant désireux de nous inviter chez lui, il ne peut ou ne veut le faire, peut-être suite à un accord passé avec les autorités.
A quelques kilomètres d’Ispahan, la petite localité de Pir Bakran abrite un cimetière juif qui remonte au 2e siècle. La légende veut que ce soit là qu’est enterrée Sarah, fille d’Asher, l’un des douze fils de Jacob, d’où le nom donné au cimetière de Sarah bat Asher (ou Sarah Khatoum). Lieu de pèlerinage, la communauté juive d’Iran s’y réunit chaque année autour de Rosh Hashana, certes pour prier, mais principalement pour s’y retrouver, manger, boire -y compris de l’alcool- et faire la fête. C’est l’occasion pour les jeunes de faire des rencontres et de trouver l’âme sœur. Cette année, toutefois, le Nouvel An juif tombant le mois de Muharram, mois de l’Achoura et période de deuil pour les Chiites qui s’accompagne de lamentations et d’autoflagellation en souvenir du martyre de l’imam Hussein, la communauté juive s’est abstenue de toute réjouissance, musique et danse, dans un esprit de respect mutuel.
Quel avenir pour la communauté juive d’Iran ?
Pour Marjan Yashayaie, fille de l’ancien président du Comité juif de Téhéran, « la coexistence entre Juifs et musulmans dans le pays islamique le plus radical est un modèle pour le Moyen-Orient ». Il existe certes des « lignes rouges » à ne pas franchir, notamment celle de résoudre les problèmes en interne, ne pas parler politique, ni critiquer le régime en dehors du cercle juif. Maintenir de bonnes relations avec la population musulmane (chiite) reste un objectif majeur qui implique un respect mutuel. Enfin, Israël reste un tabou, même s’il est de notoriété publique qu’une grande majorité parmi la population juive d’Iran a déjà visité ce pays, en transitant par la Turquie. A noter le faible taux d’émigration parmi la popu-lation juive, que ce soit vers les Etats-Unis ou vers Israël, et ce malgré une situation économique difficile pour tous, Juifs et musulmans confondus.
Et demain ? Il ne faut pas s’attendre à des changements spectaculaires de la situation des Juifs en Iran, mais une évolution et une amélioration, certes lente, de leur situation, à l’image du positionnement du « hidjab » (foulard porté par les femmes) qui recule progressivement, pour montrer la (très belle) chevelure des femmes iraniennes.
Plus d’infos www.7dorim.com (uniquement en farsi)