Eros & Thanatos

Noémi Garfinkel
Stabismes par Noémi Garfinkel
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Il y a un mois, notre héroïque Belgique a réussi à éviter la contagion par capillarité du débat français au sujet du port de l’abaya à l’école, trop occupée à se demander si une salle de prière avait vraiment sa place au cœur de l’ULB. Après tout, à chacun sa croix. Et tandis que citoyens de tout bord s’écharpaient à propos de bêtes chiffons – qu’ils drapent des jeunes filles sur le terrain sacré de l’école laïque française ou des statues sur celui des lumières de l’universalisme belge – l’information, venue de l’Est, vint réchauffer mon âme refroidie et lassée qu’en 2023 la neutralité et la laïcité soient encore/toujours/à nouveau malmenées par quelques andouilles illuminées, obsédés excités hirsutes à l’esprit vitulin, et leur garniture de cornichons politiques complices, idiots utiles adeptes du clientélisme électoral, au discernement guère plus affûté.

Cette nouvelle, venue de Chmielnik, ville polonaise de 3.500 âmes située au nord-est de Cracovie, remplaça illico dans mon cerveau l’envie séduisante mais peu réaliste d’appeler à une résolution radicale du problème selon une méthode héritée des plus illustres chefs de guerre romains. Remisant mon glaive* et mon dépit, je me penchai sur cette bourgade, théâtre d’une découverte surprenante : au sous-sol du Sphinx, ancien club de strip-tease abandonné depuis quinze ans, le récent acquéreur du bâtiment, Marian Zwolski, avait trouvé sous le bar (à boissons, horizontal) et la barre (de danse, verticale) demeurés intacts, un mikveh (bain rituel juif) tout ce qu’il y a de plus réglementaire, datant du début du XXe siècle, quand la ville était peuplée à 80 % de Juifs. Du mikveh à l’effeuillage, on ne peut qu’applaudir la cohérence de l’Histoire ! En matière d’adéquation entre centre d’activités et vêtements de ses usagers, ça nous faisait une question de prescription/proscription de moins à régler ! Il aura quand même fallu que des experts identifient officiellement les éléments préservés pour qu’ils soient reconnus comme d’authentiques vestiges juifs : carrelage bleu et blanc au sol, étoiles de David aux murs, et deux bassins, dont un plus petit, vraisemblablement destiné aux femmes. Il fallait bien ça pour qu’on ne soit pas tenté de simplement trouver au Sphinx une déco inattendue dans les toilettes ou une offre grand luxe pour un établissement de ce genre, avec cette piscine et son pédiluve attenant !

Ironie du sort, Marian Zwolski était déjà le propriétaire comblé d’un commerce de pompes funèbres situé dans la même ville. Bien qu’opposé à l’érotisme (et au comique) d’un club de strip-tease construit sur les ruines d’un mikveh, le caractère macabre de l’entreprise fit écho au tragique des événements survenus à différentes époques à Chmielnik, où la population juive passa de 6.500 en 1910 à quatorze en 1946, stagnant à zéro depuis lors.

Quoi qu’il en soit, Marian Zwolski cherche aujourd’hui des investisseurs pour relancer le tourisme local, en créant un site patrimonial destiné à préserver l’histoire juive de la ville. Peut-être qu’en rouvrant le strip club…

* Devinez ce que des archéologues viennent de découvrir : lames à peine émoussées, cachés dans une crevasse à l’intérieur d’une grotte du désert de Judée…

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