Dans sa chronique intitulée « Israël utilise les mêmes méthodes que les Allemands pour détruire une race entière » publiée dans Humo, Herman Brusselmans ne s’encombre d’aucune précaution oratoire. Il pointe son doigt accusateur vers les Juifs et Israël. « Il n’est pas inconcevable que quelqu’un, n’importe qui, devienne antisémite contre sa propre nature. Israël se livre à un génocide sale, immonde, effréné, incompréhensible et dépouillé de toute humanité. Le lien souvent établi avec le propre destin des Juifs, qui ont été impitoyablement exterminés au cours de la Seconde Guerre mondiale, a disparu depuis longtemps. »
Cette phrase illustre de manière très brutale à quel point la Shoah continue de hanter les bonnes consciences en Flandre. Plutôt que de se livrer une fois pour toutes à un examen de conscience sur la collaboration flamande, Brusselmans semble préférer se déchaîner sur la victime et ses descendants, tombant dans ce que des historiens et des politologues qualifient d’« antisémitisme secondaire » ou d’« antisémitisme du rejet de la culpabilité ». Pour Bruno Quelennec, politologue français spécialiste de l’antisémitisme allemand, « la Shoah pourrait paradoxalement donner une nouvelle raison de haïr les Juifs, leur simple existence rappelant aux descendants des bourreaux les crimes commis en leur nom sous le IIIe Reich. Cet antisémitisme non pas ’’malgré, mais à cause d’Auschwitz’’, aurait donc pour particularité de se construire à partir d’un ’’complexe de culpabilité’’ ». Il se manifesterait de plusieurs manières : par une incapacité à reconnaître toute forme de responsabilité collective dans la Shoah, mais aussi par une tendance à inverser les rôles de bourreaux et de victimes. Brusselmans s’enfonce dans cette brèche en déclarant : « Israël utilise les mêmes méthodes que les Allemands pour détruire une race entière. Cette race est dépeinte comme étant composée de rats, de vermines et d’insectes qui ne méritent que d’être écrasés… »
S’il désigne les Israéliens, ce sont les Juifs qu’il vise. La rhétorique qu’il utilise dissimule mal le vieux reproche antisémite selon lequel les Juifs contrôlent la finance mondiale ou le capitalisme américain : « Un pantin sénile comme Biden est trop lâche, trop partial et trop craintif pour s’opposer à Israël, bien sûr en partie parce que l’argent de l’Amérique se trouve dans les portefeuilles des Israéliens natifs des États-Unis. » Il alimente les stéréotypes antisémites et ajoute que : « Les grandes entreprises sont détenues par des Israéliens, de même que les grandes banques, les services secrets, les biens immobiliers et pratiquement toute la culture. » Edouard Drumont et Joseph Goebbels n’auraient pas dit le contraire.
Essentialisation des Juifs
Suite à la publication de cette chronique dans Humo, nous avons fait un signalement auprès de Unia. C’était prévisible, ce service public fédéral indépendant considère que : « Ces publications d’Herman Brusselmans que vous nous avez signalées sont polarisantes et ne dépassent pas, selon nous, la limite légale de la liberté d’expression. Il s’agit selon nous de messages qui peuvent être situés à la limite entre l’opinion et la haine. » Unia estime aussi que : « Dans cette chronique, il n’incite pas à la haine, à la violence ou à la discrimination avec une intention particulière de vouloir inciter d’autres personnes. » Et ce, même si Unia reconnaît explicitement qu’il « utilise des stéréotypes et des sophismes antisémites (tels que l’assimilation de tous les Juifs à Israël). »
Résolument antisémite, cette chronique constitue un exemple saisissant de distorsion de la Shoah, allant au-delà d’un simple « discours polarisant » qui a « pour effet d’amplifier les contradictions et de créer des camps opposés » comme Unia le souligne. Cette distorsion fait partie de ces discours de haine à l’encontre des Juifs propagés dans la sphère publique, qui permettent à leurs auteurs d’essentialiser les Juifs et/ou les Israéliens en toute impunité. Essentialiser un individu est bel et bien un procédé raciste, visant à l’enfermer dans une identité fantasmée, figée, et inamovible pour ensuite l’étendre à toute une catégorie partageant ce même attribut. Et les préjugés antisémites sur la puissance et la domination de la finance juive, dont se nourrit sans complexe ce chroniqueur épris de justice, confirment bien sa volonté d’inciter à la haine des Juifs qu’il désigne ici grossièrement les « Israéliens natifs des États-Unis ».