Dans son dernier roman graphique Deux filles nues (Éditions Albin Michel), Luz retrace l’histoire du tableau éponyme en plaçant le lecteur à la place de cette œuvre d’art. Peint par Otto Mueller en 1919, il a fait partie des quelques 700 tableaux spoliés par le régime nazi pour figurer dans l’exposition « art dégénéré ».
Le roman graphique de Luz, Deux filles nues, s’inspire directement de l’histoire réelle du tableau Deux filles nues peint par Otto Mueller en 1919. Le cœur du récit est le parcours de cette toile, depuis sa création jusqu’à sa confiscation et son intégration dans les expositions « art dégénéré » organisée par les nazis dans différentes villes allemandes entre 1937 et 1941.
« Avant tout, je voulais travailler sur l’exposition “Art dégénéré” qui eut lieu à Munich en 1937 », explique Luz. « Les nazis avaient confisqué ce qui selon eux ne reproduisait pas le beau, le vrai, le précis, le purement figuratif. S’y retrouvait l’art dit bolchevique, l’art dit juif, fait ou collectionné par des Juifs, l’art pornographique, l’art du métissage… Pour les nazis, si ces peintures ne dessinaient pas les yeux au bon endroit ou adoptaient des perspectives non réalistes, c’était parce qu’ils étaient des attardés mentaux. » Mais les expositions « art dégénéré » organisées par les nazis entre 1937 et 1941 censées discréditer l’art moderne en le présentant comme décadent, étranger et dégénéré, ont involontairement exposé au public le meilleur des avant-gardes européennes. On y trouvait des œuvres de Picasso, Kandinsky, Klee, Chagall, Van Gogh, Munch, Grosz, Kokoschka, Dix, Kirchner, etc. ce qui devait être une opération de propagande par le dénigrement s’est transformée, à son insu, en une formidable vitrine pour les avant-gardes. Plus de trois millions de visiteurs se sont rendus à l’exposition de Munich, découvrant, souvent pour la première fois, les œuvres qui allaient structurer l’histoire de l’art moderne en Europe. « Si j’ai voulu travailler sur cette expo, c’est parce que finalement, elle est géniale ! C’est paradoxal, mais en cherchant à stigmatiser ces œuvres, les nazis ont monté la plus grande expo d’avant-garde du siècle. Trois millions et demi de personnes sont venues la voir dans un petit institut archéologique. Certains parmi eux admiraient discrètement ce qu’ils voyaient, et savaient bien que c’était la dernière fois que certaines peintures étaient montrées », confirme Luz.
Le point de vue de l’œuvre
Mais dans son album, Luz adopte surtout un point de vue original, celui du tableau lui-même, témoin des événements historiques, de la spoliation des familles juives, des discours antisémites, des ventes et destructions d’œuvres par le pouvoir nazi. « En cherchant quel tableau j’allais choisir pour raconter cette histoire, j’ai été frappé par ces Deux Filles nues d’Otto Mueller, qui regardent directement les visiteurs », fait remarquer Luz. « Ce fut comme si les personnages sur la toile me disaient : “Il faut que tu t’occupes de nous”.

Je me suis dit qu’un tableau ce n’est pas simplement quelque chose qui est accroché, il a une vie propre. Et nous, en tant que regardeurs, nous participons à la vie de ce tableau. J’avais aussi envie de plonger les lectrices et lecteurs dans une expérience unique : être au cœur d’une œuvre d’art qui survit à un siècle d’épreuves, traverser le temps en tant que témoin muet de son époque ».






