Isi Halberthal nous a quittés

On pouvait d’abord distinguer son sourire derrière les volutes des gros cigares cubains qu’il fumait et ensuite, on entendait sa voix chaleureuse avec laquelle il pouvait vous raconter des witz en français et en yiddish mais aussi ses réflexions pertinentes.

Son rapport au CCLJ était presque filial, même s’il ne s’est jamais considéré comme le fils ni l’héritier de Suss. Ils étaient amis et avaient un parcours similaire. Comme Suss, Isi Halberthal est originaire d’Anvers et issu d’une famille religieuse. Et comme Suss, il a cessé d’être croyant lors de son adolescence. « Comme de nombreux Juifs de ma génération, je me suis engagé à gauche », racontait Isi. « Ce choix de justice et d’égalité pour tous était évident, même si le communisme et l’extrême gauche antisioniste avaient à mes yeux un curriculum vitae imbuvable. Très vite, l’option du CCLJ est apparue clairement après mes études d’ingénieur polytechnique à l’ULB. J’ai donc rejoint le CCLJ dès la fin des années 1960 et j’ai accompagné tous ses combats, jusqu’à accepter d’en être le président en 1983 et en 2020. Le CCLJ fait donc partie de ma vie depuis longtemps. »

Ingénieur civil et commercial, Isi Halberthal a travaillé dans l’immobilier. Parallèlement à ses affaires, Isi Halberthal s’est très tôt engagé politiquement au Parti socialiste. Après un passage par plusieurs cabinets dont ceux de Guy Cudell et d’Henri Simonet, il se présente aux élections communales, à Etterbeek. Il se retrouve alors échevin en charge des Finances pour ensuite se voir attribuer d’autres compétences : la culture et la politique d’insertions sociale et culturelle. Citant Pierre Mendès France qui aimait déclarer que son meilleur souvenir, c’est le travail fait au niveau local, Isi n’hésitait pas à souligner que la vie politique communale lui a apporté une gratification énorme.

À côté de ses affaires et de la vie politique locale, il y avait évidemment son implication communautaire à travers son militantisme au CCLJ. Isi était convaincu que le CCLJ est non seulement unique dans le monde juif, mais nécessaire. « Le CCLJ offre surtout aux Juifs la possibilité d’une intégration totale dans la société où ils vivent, sans verser dans l’assimilation culturelle complète. », faisait-il remarquer. « Il permet aux Juifs de se tenir sur deux jambes : celle de la fidélité à leur identité et celle de leur intégration à la société en tant que citoyen. Si une de ces deux jambes se casse, le CCLJ perd sa raison d’être. Comment éviter la perte de l’identité juive ? Nous devons accorder une place essentielle à la connaissance et à la culture. Dans le Talmud, il est écrit que les Sages détestent trois catégories d’individus : le pauvre qui joue au riche, le vieux qui court après les jeunes femmes et surtout, l’ignorant qui joue au sage. Il faut comprendre cette dernière détestation comme une valorisation de la connaissance dans le judaïsme. Un Juif, même laïque, ne peut ignorer sa culture, son histoire et ses traditions. Il n’y a rien d’exceptionnel dans ce que je dis en tant que Juif laïque. Déjà dans les années 1950, le très laïque Ben Gourion ne cessait d’insister sur la transmission de la culture juive. Suss avait également saisi cette nécessité et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’hésitait pas à inviter à la tribune du CCLJ des personnalités éminentes du judaïsme, comme les rabbins Josy Eisenberg, René-Emmanuel Sirat, Adin Steinsaltz… Si un centre communautaire comme le CCLJ se veut l’expression de la vie juive, il se doit de perpétuer notre culture. »

En tant que président du CCLJ, Isi Halberthal a donc toujours veillé à ce qu’une réflexion sur le judaïsme soit menée. Pour que le CCLJ et le judaïsme laïque puissent s’inscrire dans la durée, il estimait que cette réflexion est nécessaire. « En ce qui me concerne, l’assimilation n’est pas un problème religieux », expliquait-il. « Ceux qui ont besoin de donner du sens à leur identité juive se sont souvent accrochés à deux choses : la Shoah et le soutien inconditionnel au gouvernement israélien, quel qu’il soit. Ces deux référents identitaires remplissent un vide qui, selon moi, doit être comblé autrement et de manière positive. Cette réflexion ne peut être menée exclusivement par le CCLJ. Pour ce faire, nous devons impliquer des associations ou des personnalités du monde juif francophone, car même s’il n’est pas formulé de la même manière, ce besoin existe aussi dans ces communautés juives. » Il a évidemment joint le geste à la parole et sous son impulsion que le cycle des ateliers Tenou’a animée par le rabbin Delphine Horvilleur a été lancé en mars 2020.

Isi Halberthal laissera au CCLJ le souvenir d’un homme chaleureux, souriant et très attaché au yiddish et à la culture juive. Pragmatique et lucide, il recherchait toujours des solutions en usant de son intelligence, de son expérience et de ses relations pour que le CCLJ puisse déployer ses activités et rayonner.

Le conseil d’administration du CCLJ et la rédaction de Regards présentent à sa compagne Mimouna, son fils Raphaël et ses petits-enfants, leurs plus sincères condoléances.

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