Au Liban, la paix avec Israël n’est plus taboue, mais la question reste de savoir quand éclatera la prochaine guerre.
Le 27 septembre, l’imposant rocher de Raouché, un symbole du Liban au large de la corniche de Beyrouth, a été illuminé durant plusieurs heures avec les portraits du chef historique du Hezbollah Hassan Nasrallah et de son éphémère successeur Hachem Safieddine, tués il y a un an à quelques jours d’intervalle dans des frappes israéliennes. La mise en scène était organisée par le Hezbollah malgré l’interdiction formelle du gouverneur de Beyrouth. Un affront qui en dit long sur les pouvoirs du « Parti de Dieu » qu’on disait à terre, humilié dans l’affaire des bipeurs et lourdement défait par Tsahal. Le nouveau secrétaire général du Hezbollah, Naim Qassem, a lui-même admis cet été que la guerre contre Israël déclenchée le 8 octobre 2023 en soutien au Hamas avait tué 5.000 de ses combattants et fait plus de 13.000 blessés. De son côté, Tsahal affirme avoir éliminé les trois quarts des capacités militaires du groupe terroriste, détruit plus de 50 tunnels dans des opérations de ratissage au sud du Litani et coupé ses sources de financement en provenance d’Iran. Mais si les autorités libanaises sont incapables d’empêcher la milice chiite de s’approprier un emblème national pour célébrer son « leader éternel » Nasrallah, comment croire qu’elles lui feront déposer les armes ?
Forcing américain
La démilitarisation du Hezbollah est pourtant la clé du retour au calme dans la région. Elle est au cœur de l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024, par lequel le Liban s’engage à mettre en œuvre la résolution 1701 du Conseil de sécurité appelant dans son point 8 à appliquer la résolution 1559 qui exige le « désarmement de tous les groupes armés ». Depuis, il a redoublé d’efforts pour collecter les matériels, démanteler les dépôts et les usines de production et empêcher le trafic d’armes et son financement, notamment par les filières de drogue. Les aéroports sont sous surveillance, les vols en provenance d’Iran étant suspendus depuis février dernier. Le 15 juillet, la Banque centrale du Liban a interdit toute transaction avec la société bancaire du Hezbollah. Sous pression américaine, le gouvernement libanais a pris le 7 août la décision choc de placer toutes les armes sous le contrôle de l’Etat. Et pour preuve de son engagement, il s’est fixé l’objectif d’y parvenir entre la frontière avec Israël et le fleuve Litani « d’ici la fin de l’année », avant de poursuivre plus au Nord par étapes.
Il faut dire que l’administration Trump a déployé les grands moyens. Plusieurs haut-représentants sont chargés de superviser le mécanisme de trêve avec Israël et le plan de démilitarisation, notamment Morgan Ortagus, l’envoyée spéciale de Donald Trump pour le Liban, Tom Barrack, ambassadeur en Turquie, en charge des affaires syriennes, et Michel Issa, nouvel ambassadeur à Beyrouth. Une équipe moins réputée pour son expérience diplomatique (à l’exception d’Ortagus) que sa loyauté à Trump, dont Barrack et Issa partagent la passion du golf et de juteux projets immobiliers. À ce forcing s’ajoutent les pressions de l’état-major, sachant que Washington a débloqué 230 millions de dollars pour l’armée libanaise, de la Justice et du département du Trésor en charge de la lutte contre le terrorisme.
Qu’il est loin le temps où Trump faisait figure d’isolationniste, soucieux de poursuivre le retrait du Moyen-Orient initié par Obama. Son second mandat inaugure un activisme tous azimuts, marqué par une tournée dans le Golfe au printemps, sa médiation à Gaza et enfin la visite historique le 10 novembre à la Maison-Blanche du président syrien Ahmed el-Charaa, suivi de celle du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman. Ainsi le projet de démilitarisation du Hezbollah s’inscrit-il dans un plan régional visant à soutenir Israël et raffermir les Etats sunnites face à l’axe iranien. Riyad le promeut financièrement afin de regagner sur le Qatar son influence au Liban. Dans ce dispositif, la Syrie d’el-Charaa joue un rôle pivot. Après avoir fait chuter le régime d’Assad et repris le territoire à l’ouest aux miliciens chiites, l’ancien djihadiste peut assécher les voies de contrebande vers le Liban. Un enjeu essentiel, rappelle le secrétaire adjoint au Trésor John Hurley, car l’Iran y a transféré depuis janvier 2025 plus d’un milliard de dollars, « beaucoup d’argent liquide, beaucoup d’or, et une partie en cryptomonnaies ». En novembre, Washington levait dans un même mouvement des sanctions sur Damas et en prenait contre le Hezbollah. Autant d’incitations financières pour arrimer la Syrie et le Liban à Washington et les encourager à des accords avec Israël.
Dynamiques de paix
L’activisme américain porte ses fruits, du moins sur la scène politique. En janvier, le parlement a élu Joseph Aoun président de la République après deux ans de vacances à la tête du pays. Pro-américain, l’ancien commandant en chef de l’armée veut redonner à l’État le monopole des armes. Parallèlement, il a ouvert un débat inédit sur Israël. « Le gouvernement israélien souhaite-il une paix juste et durable dans notre région ? Si oui, nous sommes prêts », assurait-il en septembre au sommet de Doha. Depuis, ses sorties semblent préparer les esprits au rapprochement avec l’État juif. « En politique, il n’y a que trois instruments : la diplomatie, l’économie et la guerre », déclarait-il le 3 novembre. « Lorsque la guerre est dans une impasse, le dialogue est la seule voie possible. Toutes les guerres dans le monde se sont finalement terminées par la négociation, et on ne négocie jamais avec un ami, mais un ennemi. »
D’autres voix s’engagent en faveur du dialogue avec Israël ; preuve que le sujet n’est plus tabou au pays du Cèdre. Le leader du parti maronite Samy Gemayel dit croire en des négociations, même directes, tant « ce qui était impossible est devenu possible ». Fin novembre, lors d’une conférence du Washington Institute for Near East Policy, c’est l’homme d’affaires et fondateur du « Bloc du renouveau » Fouad Makhzoumi qui a appelé à briser le cycle de confrontations avec l’État juif. La paix, dit-il, est le seul gage de prospérité : « tant que le Hezbollah conservera ses armes et sa capacité à mener la guerre contre Israël, l’Etat libanais ne pourra être reconstruit ». L‘abrogation de la loi de 1955 criminalisant les contacts avec les Israéliens serait un premier pas. De même que l’entrée du Liban dans le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, où Israël cohabite déjà avec l’Egypte, la Jordanie et la Palestine. Après tout, Beyrouth a signé un accord délimitant sa frontière maritime avec Israël au temps de Nasrallah en 2022. La prochaine étape serait de régler le différend sur la frontière terrestre, où subsistent une dizaine de points litigieux (dont Rosh Ha-Nikra, les fermes de Shebaa et Ghajar). Pour à terme espérer une forme de normalisation, voire un élargissement des accords d’Abraham au Liban.
Entre guerre civile ou nouveau round contre Israël
Du point de vue israélien, on en est encore très loin. « Nous voyons que le Hezbollah a décidé de ne pas rendre les armes, de ne pas négocier la paix, ni changer le système électoral libanais de crainte que son mouvement et le parti chiite Amal en sortent affaiblis » nous explique Jacques Neriah, ancien conseiller diplomatique d’Yitzhak Rabin et chercheur au Jerusalem Center for Security and Foreign Affairs. « Le Hezbollah a repris du poil de la bête et se recompose comme au temps de Nasrallah ». La milice recrute à nouveau, produit missiles et drones et réactive ses réseaux iraniens de contrebande : « incapables de traverser la Syrie, ils empruntent d’autres voies, via la mer rouge et le canal de Suez », poursuit Jacques Neriah. « Le Hezbollah s’est assez renforcé pour menacer Israël mais aussi le gouvernement libanais et les Etats-Unis, dont il refuse d’appliquer les directives sur le blanchiment d’argent. »
Officiellement l’armée libanaise dit avoir achevé 85% de ses objectifs. Mais le plan de démilitarisation annoncé le 5 septembre par son chef, le général Rodolphe Haykal, ne prévoit pas de perquisitionner les domiciles privés. Et sur le terrain, tout est fait pour éviter la confrontation avec les combattants chiites, souvent prévenus à l’avance. « C’est une armée défaillante, composée à 60% de chiites », souligne Jacques Neriah. Le Hezbollah se présente en protecteur de la communauté, à la tête d’un réseau social, d’écoles et d’hôpitaux. Vu la fragilité du régime, dans un contexte politique explosif à l’approche des municipales de mai 2026, les Libanais redoutent de rebasculer dans la guerre civile.
L’autre risque est celui d’un nouveau round contre Israël. Vu la faiblesse des forces libanaises et l’incurie de la FINUL, Tsahal n’a pas l’intention de laisser le Hezbollah se renforcer et multiplie les bombardements au sud-Liban en profitant de la liberté d’action que lui confère la résolution 1701. Près de 400 terroristes ont été tués depuis le cessez-le-feu. Sans aucune riposte du Hezbollah. Si Israël décidait de le frapper lourdement, rien ni personne ne pourrait l’en empêcher. Et surtout pas les Américains, qui perdent patience face à Beyrouth. Fin novembre, l’Administration Trump a brusquement annulé les rencontres prévues avec le général Haykal. Elle pourrait décider de laisser la Syrie agir contre les milices chiites à sa frontière. Ou bien de fermer les yeux sur une large opération de Tsahal. Les menaces de Tom Barrack aux Libanais, citées fin octobre par Al-Akhbar, sont claires : « Soit vous acceptez d’entamer des négociations directes avec Israël sous l’égide des États-Unis afin d’établir un calendrier et un mécanisme pour le démantèlement de l’arsenal du Hezbollah, soit le Liban sera abandonné à son sort. »







