Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol, s’est imposé comme l’un des dirigeants européens les plus virulents envers d’Israël. Derrière son engagement propalestinien affiché, se dessinent les tensions d’une coalition fragilisée, un contexte historique d’antijudaïsme espagnol et une stratégie personnelle de survie politique.
Parmi les nombreux protagonistes qui sont montés depuis deux ans dans le convoi BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) il y en a peu d’aussi visibles que Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol. Il s’est situé en première ligne de la dénonciation d’Israël, de son gouvernement et de son peuple. Il n’hésite pas à chercher la confrontation ni à user de la provocation. Déjà en décembre 2023, Pedro Sánchez, tout en reconnaissant le droit d’Israël de se défendre, laissait entendre qu’Israël ne pouvait pas attaquer Gaza car la mort de civils était inévitable. L’Espagne a été parmi les premiers pays européens à reconnaître la Palestine en 2024. Pedro Sánchez qualifie la situation à Gaza de génocide de façon affirmée sans la moindre retenue, se joignant, comme beaucoup d’autres, à l’action de l’Afrique du Sud auprès de la Cour Internationale de Justice. Il accuse le gouvernement israélien de violations des droits humains, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre. Il affirme son admiration pour les manifestants ayant interrompu La Vuelta d’Espagne cycliste pour dénoncer la présence d’une équipe israélienne et il prône l’exclusion d’Israël de toute compétition sportive internationale autant que du concours Eurovision de la chanson. Pedro Sánchez est autant propalestinien, qu’il est anti-israélien.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette attitude extrême, militante, activiste, d’un politicien à la tête d’un pays de l’Union européenne ? Plusieurs éléments pouvant rendre compte de cette position. En premier lieu la politique interne espagnole, et la personnalité de Pedro Sánchez. Ce dernier dirige un gouvernement de coalition entre son parti, le Parti socialiste (PSOE), et un parti de gauche radicale, Sumar, présentant des similitudes avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, notamment à travers un palestinisme exacerbé du « fleuve à la mer ». De plus, depuis quelques mois les sondages ne cessent de confirmer le regain de popularité des partis de droite dans l’opposition et la perte de vitesse du PSOE. Enfin, Pedro Sánchez s’est entouré de personnages qui sont actuellement devant les tribunaux pour des fait de corruption, abus de pouvoir, comportement machiste, tout à l’encontre des messages officiels des socialistes. Des accusations sont même portées contre l’épouse de Sánchez. Soit un chef de gouvernement en difficulté avec son associé de coalition, avec les sondages et avec ses amis corrompus.
Politique arabe de Franco
Une tradition historique de politique pro-arabe depuis la période de Franco doit également être prise en considération. Devant l’isolement diplomatique de l’Espagne franquiste par rapport aux pays occidentaux, Franco s’est rapproché des pays arabes pour élargir ses contacts avec le monde extérieur. Lors de la création d’Israël en 1948, l’Espagne n’a pas reconnu le nouvel État, affirmant que la reconnaissance espagnole ne se ferait pas avant que les pays arabes ne l’eussent fait. La politique anti-israélienne et propalestinienne fut mise en avant pour faciliter les contacts avec le monde arabe malgré le contentieux marocain du Sahara occidental occupé par l’Espagne jusqu’en 1976. Il faut rappeler que lors de la guerre du Kippour en 1973 l’Espagne fut épargnée par les pays arabes lors de l’embargo pétrolier. L’Espagne n’établit des relations diplomatiques avec Israël que très tardivement, en 1986, obligée par son souhait de rejoindre la CEE. Cependant, l’attitude propalestinienne et anti-israélienne n’a pas fondamentalement changé depuis lors.
Il convient de ne pas négliger un antisémitisme profond, populaire et diffus que je qualifierais presque de consubstantiel à l’identité espagnole. Cette affirmation peut paraître exagérée, et elle l’est probablement, mais seulement en partie. Comme d’autres États européens (l’Angleterre en premier, la France mais aussi les Pays-Bas Bourguignons), l’Espagne a expulsé les Juifs (et les musulmans) qui ont refusé la conversion forcée en 1492, après l’unification du royaume par la conquête du dernier territoire musulman de Grenade. Les Juifs convertis restés en Espagne furent l’objet d’un traitement discriminatoire et particulièrement obsessionnel de la part de l’Inquisition qui semble avoir pénétré la société espagnole très profondément. L’Inquisition n’a été supprimée qu’en 1834. On ne peut oublier le statut de la limpieza de sangre (la pureté du sang) qui obligeait tout prétendant à une charge publique ou ecclésiale à démontrer l’absence d’aïeux juifs dans son arbre généalogique sur plusieurs générations. Ce statut antisémite ne fut aboli qu’en 1865. Ni laisser de côté les cérémonies d’autodafé où l’on brulait les judaizantes qui ont perduré dans l’imaginaire espagnol. Cette persistance sur le temps long de plusieurs siècles d’une persécution de tout ce qui rappelle le Juif apparait comme la racine d’un antijudaïsme espagnol bien présent de nos jours. C’est l’archétype même d’un antijudaïsme sans Juifs perdurant à travers les siècles. Car si l’Espagne fait actuellement des Juderias (quartiers juifs) un atout touristique, il n’y a plus de Juifs dans ces quartiers depuis bien longtemps. Les manifestations massives condamnant Israël organisées du Nord au Sud et d’Est en Ouest, les activités organisées dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les universités en faveur d’une Palestine du fleuve à la mer et d’un boycott de tout qui rappelle Israël en sont bien le reflet. N’oublions pas que dans le dictionnaire de la Real Academia Española le mot « judio », à part faire référence aux Juifs et aux Hébreux, signifie « avare, usurier » et que « judiada » se réfère à une action malveillante destinée à causer préjudice à quelqu’un. Cette utilisation du mot « juif » comme une insulte reste courante de nos jours en Espagne.
Et Pedro Sánchez dans tout cela ? En s’affichant violemment anti-israélien et propalestinien il obtient plusieurs résultats favorables avec un coût dérisoire pour lui-même. Du point de vue de la politique interne espagnole, il donne des gages à son allié du parti Sumar ébranlé par le machisme et le goût des prostituées de l’entourage de Sánchez ; il s’assure une popularité gratuite et instantanée puisque ses attitudes publiques sont applaudies de façon assez unanime par une population conquise aux mêmes idées ; il diminue la pression sur les affaires de corruption en soulevant un autre sujet d’attention ; il met en difficulté les partis d’opposition qui ne peuvent se désolidariser facilement de ses rodomontades.
Aligner l’Espagne sur le « Sud Global »
Du point de vue de la politique étrangère, il approfondit les bons rapports avec les pays arabes, notamment le Maroc voisin par-delà le détroit de Gibraltar, en adoptant une position pionnière parmi les pays européens sans pour autant s’aliéner son rôle de pays européen membre de l’Union européenne et de l’OTAN. Comme beaucoup d’autres dirigeants, il cherche à renforcer son image de leader soucieux du « Sud global », en alignant l’Espagne sur les pays propalestiniens et furieusement anti-israéliens (Israël étant considéré comme le paradigme de l’Occident colonisateur blanc impérialiste) en Amérique Latine (Bolivie, Venezuela, Cuba, Brésil, Colombie) et au-delà.
Enfin, il y a la personnalité de Pedro Sánchez. C’est un politicien sans scrupules ni honte, prêt à tout pour atteindre et conserver le pouvoir. Il peut prendre des risques, doubler les mises, surprendre ses opposants, manœuvrer et faire ce qu’il faut pour garder ce pouvoir personnel qu’il chérit par-dessus tout. Sur le dos d’Israël il a trouvé le chemin politique qui lui permet d’atteindre tous ces objectifs en une fois. C’est ainsi qu’on l’a vu se précipiter ce 12 octobre toutes affaires cessantes à Charm el Sheikh afin de s’assurer sa place sur la photo, et d’affirmer que l’Espagne a toute sa place dans la force internationale pour Gaza que prévoit le plan Trump. La place que Sánchez prétend tenir dans ce cadre servira à s’assurer que le Hamas ne soit jamais désarmé, à l’instar des casques bleus des Nations Unies dirigés par un commandant espagnol, stationnés au Sud Liban et qui n’ont jamais rien vu ni entendu des tunnels et caches d’armes que le Hezbollah creusait à leurs côtés.
On peut se tromper mais Pedro Sánchez s’inscrit parfaitement dans la longue tradition d’antijudaïsme espagnol. Avec lui, le pays qui a soumis les Juifs à un nettoyage ethnique quand ces termes n’existaient pas, et qui a colonisé un continent entier, (le 12 octobre, le jour où Christophe Colomb a mis le pied sur l’ile de Saint Domingue est devenu le jour national en Espagne) critique à n’en pas finir le petit Israël pour les mêmes motifs. La critique d’Israël pour la colonisation de la Cisjordanie est justifiée. Mais l’impudence et l’absence de scrupules de Pedro Sánchez par rapport au passé de son pays dépeint bien l’homme cynique qu’il semble être.
En conclusion, le cas Sánchez, tout particulièrement espagnol qu’il soit, montre bien les multiples usages que des responsables politiques, des activistes, des révolutionnaires, peuvent faire de la tragédie palestinienne. En levant l’étendard palestinien, ils s’en servent pour pousser des objectifs qui en sont bien éloignés mais qui s’imprègnent de l’aura quasi sacrée de la cause palestinienne. Cet usage intéressé de la cause palestinienne a hélas de beaux jours devant lui.






