Quand Sartre devint diminué, aveugle, incapable de lire et d’écrire, mais non de penser, il fit appel à Pierre Victor, alias Benny Lévy, qui lui tint lieu de secrétaire. Leur amitié complice dura dix ans. Elle avait commencé aux lendemains de Mai 68, quand celui qui n’était encore que Pierre Victor était un éminent et charismatique leader maoïste, fondateur de la Gauche prolétarienne (la GP). Il était né en 1945, en Égypte d’où, avec les autres Juifs, il avait été chassé par Nasser en 1956. Il avait renié toute judéité, allant même jusqu’à prôner la destruction de « l’entité sioniste ». Dix ans plus tard, devenu ou redevenu Benny Lévy, ce n’était plus le même homme. Sartre, lui aussi, avait revu bon nombre de ses considérations antérieures, notamment celles énoncées dans ses célèbres Réflexions sur la question juive de 1946 où, comme on sait, le Juif n’existait que dans le regard de l’autre, l’antisémite. Il n’y avait pas de réalité, de substance, d’essence juive. Au contact du jeune philosophe révolutionnaire Benny Lévy, Sartre infléchit ce point de vue. Il découvre un « Juif de pratique » (que deviendra peu à peu Benny Lévy) et qu’il existait des textes juifs qui pouvaient rejoindre l’idée d’éthique révolutionnaire. Ce dialogue, qui dura dix ans, jusqu’à la mort de Sartre en 1980, fit l’objet d’une publication, en plusieurs livraisons dans Le Nouvel Observateur, intitulée L’Espoir maintenant. C’est alors que la « Sartrie », ainsi que la nomme l’auteur, se déchaîna, cria au scandale, dénonçant le « détournement de vieillard », « l’extorsion d’aveux ». On accusa Benny Lévy d’abus de confiance, de manipulation. La première à monter au créneau n’était autre que Simone de Beauvoir. L’auteur étudie ici, méticuleusement, les méandres de cette amitié, de cette complicité entre le vieux Sartre et le jeune Juif. Il démontre avec conviction que, contrairement aux anathèmes à l’encontre de celui qui avait fait téchouva, ce ne fut pas ce dernier qui capta la pensée d’un Sartre supposé déclinant, l’entraînant vers le messianisme juif, mais l’inverse : c’est Sartre, l’athée, qui sut convaincre Benny Lévy de retourner à ce qu’il était et qu’il avait longtemps renié, un Juif authentique, et même un Juif orthodoxe. Le vieux sartrien que j’avais été dans ma jeunesse est sorti plutôt convaincu de cette lecture.
C’est alors que la « Sartrie », ainsi que la nomme l’auteur, se déchaîna, cria au scandale, dénonçant le « détournement de vieillard », « l’extorsion d’aveux ». On accusa Benny Lévy d’abus de confiance, de manipulation. La première à monter au créneau n’était autre que Simone de Beauvoir. L’auteur étudie ici, méticuleusement, les méandres de cette amitié, de cette complicité entre le vieux Sartre et le jeune Juif. Il démontre avec conviction que, contrairement aux anathèmes à l’encontre de celui qui avait fait téchouva, ce ne fut pas ce dernier qui capta la pensée d’un Sartre supposé déclinant, l’entraînant vers le messianisme juif, mais l’inverse : c’est Sartre, l’athée, qui sut convaincre Benny Lévy de retourner à ce qu’il était et qu’il avait longtemps renié, un Juif authentique, et même un Juif orthodoxe. Le vieux sartrien que j’avais été dans ma jeunesse est sorti plutôt convaincu de cette lecture.