Joachim Schnerf, Le cabaret des mémoires, Grasset, 134 p.
Je feuillette quelques livres dits de la « rentrée ». Souvent ils vous tombent des mains. Une écriture plate, convenue, scolaire, et vous n’allez pas plus loin. La vie est trop courte. Et puis, un livre vous vient, dont vous ne connaissiez pas l’auteur, et soudain, c’est une voix qui vous parle, qui vous fait signe, qui vous dit que vous avez affaire à un écrivain, un vrai. Tel fut pour moi le livre de Joachim Schnerf, jeune trentenaire, dont c’est ici le troisième livre.
Cela commence par des souvenirs d’enfance, la nuit, dans un jardin quelque part dans les Vosges, avec sa grande sœur et son cousin. On évoque la figure d’une grand-tante, Rosa, survivante d’Auschwitz, et même la dernière survivante, émigrée après la guerre au Texas pour y fonder un cabaret. Là, à destination des voyageurs et autres chercheurs d’or, elle racontera son enfance et évoquera la Shoah qu’elle connut de près. Tandis que le narrateur évoque Rosa qu’il n’a vue qu’une seule fois au cimetière juif de Strasbourg, c’est aussi à sa propre femme qu’il songe, à la maternité, qui va mettre au monde un bébé. Si bien que l’esprit de Samuel est à fois tourné vers le présent heureux et vers un passé lourd de douleurs. Les étés d’enfance où l’on partait à la recherche d’un prétendu « Shtetl City » texan où vivait la grand-tante Rosa, les camps d’été parmi les Eclaireurs israélites où, à dix-sept ans, Samuel rencontra Lena, sa future femme, ce récit nous donne à voir des strates de mémoires, et à entendre une voix juive de la troisième génération toute vouée à la transmission. A la fin de cette manière de fable, Rosa, la dernière survivante, dans son cabaret, va raconter pour la dernière fois avant de disparaitre. Un récit sous la forme d’une liste, comme pour ne rien omettre : l’enfance en Pologne près de Cracovie dans les années trente, l’antisémitisme endémique, les pogroms, l’immigration en France, le nazisme qui y régna à partir de 1940, les rafles par la police française, les déportations…
Ce n’est pas un roman naturaliste que nous donne à lire Joachim Schnerf. C’est mieux que cela : un conte, un rêve, une fable, comme on voudra, un beau texte en tout cas, voué à la mémoire juive, ultime maillon en date de ce que le grand poète yiddish, Avrom Sutskever, appela : Di goldené keyt « la Chaine d’or).