Le Bloc-notes – Politique et géopolitique

Elie Barnavi
Le Bloc-notes d’Elie Barnavi
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L’actualité israélienne n’a pas été avare ce dernier mois en événements qui mériteraient qu’on s’y arrête, et pas seulement les soubresauts pathétiques d’une coalition sous perfusion dont l’entêtement à se survivre tient du miracle. Tenez, je rédige ces lignes à la veille de la « Journée de Jérusalem » et de la « marche aux drapeaux » que l’extrême droite messianique organise tous les ans à cette occasion. L’an dernier, des roquettes du Hamas y avaient brutalement mis fin. Cette année, le pays retient son souffle. Cependant, à vingt-quatre heures près et les échéances éditoriales étant ce qu’elles sont, il me faut passer à autre chose. Mais à quoi ?

Eh bien, encore et toujours, à l’Ukraine, la grande affaire de ce début de décennie. Il faut craindre, en effet, la banalisation, la si humaine et terriblement destructrice banalisation. Car, nous Juifs en savons quelque chose, on s’habitue à tout, et les phénomènes les plus monstrueux finissent par lasser. C’est ce qu’a bien compris Volodymyr Zelensky, dont le matraquage universel et quotidien est destiné précisément à cela : éviter l’inévitable banalisation. Voici donc trois réflexions sur l’affaire ukrainienne.

La première est d’ordre militaire. Je l’ai dit et écrit moi-même plus d’une fois, on pensait la guerre classique, armée contre armée, définitivement passée de mode. Le temps, disait-on, était venu des conflits « asymétriques », gouvernements contre « acteurs non-étatiques ». L’Ukraine prouve le contraire. Là-bas, deux armées se font face, avec d’énormes mouvements de troupes, des chars et des canons, des offensives, des contre-offensives et des sièges. Dans le Donbass, on a même droit à un duel d’artillerie, soit une resucée de la bataille de la Somme de joyeuse mémoire. Or, l’histoire enseigne qu’un conflit de cette nature se termine généralement de deux manières. L’une est l’écrasement de l’adversaire ; c’est le modèle de la Seconde Guerre mondiale. L’autre est l’épuisement des belligérants, dont l’un, encore plus exténué que l’autre, décide qu’il ne peut plus continuer ; c’est le modèle de la Grande Guerre. L’impéritie de l’armée russe et la faiblesse relative des forces ukrainiennes rendant le premier modèle en l’occurrence inopérant, c’est le second qui est le plus probable. Comme dans le cas de l’Empire allemand en 1918, il faudra sans doute passer par un changement de régime à Moscou. En effet, un régime comme celui de Poutine n’est pas programmé pour la défaite. Il continuera sur sa lancée tant qu’on le laissera faire.

Ce qui m’amène à la deuxième réflexion, proprement russe celle-là. Il faut arrêter de tourner autour du pot : le régime poutinien est fasciste et il est impératif de le traiter comme tel. Dans le New York Times du 19 mai, Timothy Snyder, professeur à l’Université de Yale, l’un des meilleurs spécialistes vivants de l’histoire de l’Europe centrale et orientale, a signé un texte implacable intitulé sobrement « We Should Say It. Russia Is Fascist ». Vénération du Chef ; son isolement au centre d’un cercle de sycophantes qui lui disent ce qu’il veut entendre et le coupent de la réalité ; culte des morts ; mythe d’un âge d’or de grandeur impériale qu’il s’agit de restaurer par la violence rédemptrice ; recours massif à une propagande démente ; massacre indiscriminé de populations civiles – la Russie de Poutine coche toutes les cases. Or, rappelle l’historien, le fascisme n’a jamais été défait en tant qu’idée ; culte de l’irrationnel et de la violence, il n’a jamais pu l’être par l’argumentation rationnelle. Le fascisme n’est pas une position à débattre, mais une mystique de la force à abattre. Il a séduit les masses tant que ses promoteurs, régimes et mouvements, ont eu le vent en poupe. Ce n’est que sur les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale qu’il a pu être battu. Le voici de retour, avec les mêmes méthodes qui procèdent de la même folie. Il faut donc le vaincre sur le champ de bataille, ce n’est qu’à ce prix que sa mystique s’écroulera. Déjà, la démocratie recule des deux côtés de l’Atlantique ; une victoire de Poutine conforterait tout ce que le monde compte de démagogues, en Europe, en Amérique, partout. C’est inacceptable.

Voilà pourquoi il faut rejeter les piailleries des soi-disant « réalistes » qui appellent à ne pas « humilier » Poutine, à offrir à l’agresseur de quoi « sauver la face », de chercher un « compromis », au détriment des Ukrainiens, bien sûr. Ces gens n’ont-ils n’ont jamais entendu parler des Sudètes ?

La troisième réflexion, enfin, est d’ordre géopolitique. Les bouleversements mondiaux provoqués par « l’opération spéciale » de Vladimir Poutine nécessitaient un leader global capable de les affronter et de les retourner à son avantage. Joe Biden s’est révélé l’homme de la situation. « Sleepy Joe » ? Allons donc. Fort d’un demi-siècle d’expérience internationale, il a ressuscité l’OTAN, naguère proclamé par Emmanuel Macron en état de « mort cérébrale », mis en branle une formidable opération d’aide militaire à l’Ukraine, et, tout récemment, lors d’un voyage en Asie, donné enfin de la consistance au « pivot » asiatique imaginé mais non exécuté par son prédécesseur – et patron – à la Maison Blanche. Dans la foulée de son entretien avec le Premier ministre japonais Fumio Kishida à Tokyo, un journaliste a demandé au président s’il était prêt à « intervenir militairement pour défendre Taïwan en cas de besoin ». « Oui », a-t-il répondu simplement, « c’est bien notre engagement ». Ainsi, se servant de la crise ukrainienne comme d’un levier pour ledit « pivot », Biden a lié les deux arènes géopolitiques, l’atlantique et l’indopacifique, en un seul vaste front.

Et l’Europe ? Le « retour » de l’Amérique sur le Vieux Continent et la montée en force de l’OTAN sonnent-ils le glas de la mort de l’Europe de la défense chère à Emmanuel Macron avant même qu’elle ait vu la lumière du jour ? Pas nécessairement : la guerre en Ukraine finira bien par s’arrêter un jour, mais la Chine sera toujours là pour
accaparer l’attention de Washington. Et puis, si les Etats-Unis projettent derechef leur
incomparable puissance à l’extérieur, à l’intérieur ils sont une démocratie vermoulue et une société malade – de sa violence, de sa polarisation culturelle, de la guerre civile larvée en son sein. Aussi bien, Trump peut encore revenir, ou quelque autre républicain du même acabit, qui n’aura de cesse de démolir l’édifice géopolitique si brillamment rebâti par Joe Biden. L’Europe, échaudée, comprend désormais qu’il lui faut s’organiser pour survivre.

P.S. Sauf miracle, il n’y aura pas d’accord nucléaire iranien. Téhéran a exigé des choses qui n’ont rien à voir avec le nucléaire, notamment l’effacement des Gardiens de la révolution de la liste américaine des organisations terroristes. A juste titre, l’administration Biden a refusé. Officiellement, le gouvernement israélien se félicite de l’échec probable des négociations de Vienne. Officieusement, les chefs des appareils de sécurité ne sont pas du tout au diapason. C’était déjà le cas au moment où Trump, vigoureusement encouragé par Netanyahou, s’était unilatéralement retiré du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), en mai 2018. Le génie de Washington se faisait fort d’obtenir un meilleur deal, ou, alternativement, de mettre les ayatollahs à genoux grâce à un régime impitoyable de sanctions. On sait ce qu’il en est advenu. Résultat : l’Iran n’a jamais été aussi proche du statut d’« Etat du seuil » nucléaire. Et Israël n’a jamais été aussi seul face à la menace iranienne. Brillant, eh ?

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Amos Zot
Amos Zot
2 années il y a

Deux “détails” que notre ex-ambassadeur omet de mentionner:

  1. si le “génial” Biden n’avait pas annoncé urbi et orbi qu’il n’interviendrait pas militairement en cas d’invasion russe de l’Ukraine ou mieux s’il avait annoncé que conformément aux Accords signés , il prendrait toutes les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine , il est fort probable que Poutine ne se serait pas risqué à cette “opération militaire”;
  2. l’éventuel nouvel Accord nucléaire avec l’Iran est effectivement moins bon que le précédent qui était déjà très mauvais et cette situation est effectivement due au fait que les mollahs ne sont pas à genoux mais c’est dû à la levée des sanctions par Biden qui aurait au contraire dû les renforcer ( l’incohérence de sa politique est flagrante puisque Biden souhaite des sanctions de plus en plus sévères pour faire plier Poutine et à l’inverse, la levée des sanctions pour négocier avec les mollahs iraniens).
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Elie Barnavi
Elie Barnavi
Historien, professeur émérite de l’Université de Tel-Aviv et ancien ambassadeur d’Israël