À l’occasion du 30e anniversaire de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, il nous semble important de lui rendre hommage, notamment en reproduisant le dernier discours qu’il a prononcé quelques minutes avant d’être abattu.
Le 4 novembre 1995, le Premier ministre Yitzhak Rabin arrive sur la place des Rois d’Israël (aujourd’hui place Rabin) pour la manifestation « Oui à la paix, non à la violence », organisé afin de montrer qu’une majorité d’Israéliens soutient encore le processus d’Oslo. Quelques semaines plus tôt, le 28 septembre 1995, Israël et l’OLP ont signé l’accord Oslo II qui prévoit le redéploiement de l’armée et l’autonomie palestinienne dans des villes de Cisjordanie. L’accord a été ratifié par la Knesset d’extrême justesse (61 pour, 59 contre) le 6 octobre après des débats enflammés. Dans les rues, le Likoud et les mouvements colons multiplient les manifestations durant lesquelles une rhétorique d’incitation au meurtre (affiches de Rabin en uniforme nazi, cercueil symbolique, accusations de trahison) est déployée sans complexe, tandis que des attentats suicides du Hamas et du Jihad islamique sapent l’opinion publique. La manifestation de Tel-Aviv organisée le 4 novembre 1995 vise donc à renforcer la voie tracée par Yitzhak Rabin et Shimon Peres et à isoler les extrêmes.
C’est dans ce climat extrêmement tendu qu’Yitzhak Rabin monte sur le podium et s’apprête à prendre la parole. Plusieurs témoins et images d’archives montrent qu’Yitzhak Rabin est très ému, justement parce qu’il ne s’attendait pas à voir une foule aussi nombreuse et chaleureuse dans ce contexte d’hostilité croissante qu’il subissait depuis des mois. En arrivant sur la place des Rois d’Israël, et en voyant plus de 100.000 personnes brandir des pancartes pour la paix et scander son nom, il aurait confié à ses proches collaborateurs qu’il se sent enfin « réconforté » et « compris ». Lors de son discours, sa voix est posée mais son ton est inhabituellement serein et confiant .
À la fin de la manifestation, sur le podium, Yitzhak Rabin est détendu. Il sourit et chante même Shir LaShalom (Chant pour la paix) avec la foule et ses ministres. Il s’agit là d’un geste rare pour cet homme habituellement réservé et peu démonstratif. Les témoins disent qu’il semblait apaisé, presque soulagé.
Quelques minutes plus tard, alors qu’il regagne sa voiture, il est assassiné par Yigal Amir, étudiant nationaliste religieux partisan du Grand Israël. Touché au poumon gauche, à la rate et à la colonne vertébrale, Yitzhak Rabin meurt à l’hôpital Ichilov à 23h10 ce 4 novembre 1995. « J’ai mal, mais ce n’est pas grave » ont ses derniers mots.
“Permettez-moi de dire que je suis moi aussi enthousiaste. Je tiens à remercier chacun d’entre vous qui êtes venus ici pour dénoncer la violence et défendre la paix. Le gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, avec mon ami Shimon Peres, a décidé de donner une chance à la paix. Une paix qui résoudra la plupart des problèmes de l’État d’Israël.
J’ai été militaire pendant 27 ans. J’ai combattu aussi longtemps qu’il n’y avait aucune chance de paix. Aujourd’hui, je crois qu’il y a une chance de paix, une grande chance. Nous devons en profiter pour ceux qui sont ici, et pour ceux qui ne sont pas ici, et ils sont nombreux parmi la population. J’ai toujours cru que la plupart des gens veulent la paix, sont prêts à prendre des risques pour la paix. Et vous êtes ici, participant à ce rassemblement, prouvant, avec beaucoup d’autres qui ne sont pas venus ici, que les gens veulent vraiment la paix et s’opposent à la violence.
La violence érode les fondements de la démocratie israélienne. Elle doit être condamnée, éradiquée, isolée. Ce n’est pas seulement la voie suivie par l’État d’Israël. Dans une démocratie, il peut y avoir des controverses, mais la décision est prise lors d’élections démocratiques, comme ce fut le cas en 1992, lorsque le mandat nous a été confié pour faire ce que nous faisons et continuer à le faire.
Je suis fier de voir que les représentants de pays avec lesquels nous avons conclu la paix sont venus ce soir et reviendront en Israël. Je tiens ici à remercier le président égyptien, le roi de Jordanie et le roi du Maroc, dont les représentants sont présents ici et expriment leur partenariat avec nous dans la marche vers la paix.
Mais je tiens surtout à remercier le peuple d’Israël. Au cours des trois années du mandat de ce gouvernement, il a prouvé que la paix peut être atteinte, une paix qui ouvre la voie à une société et une économie de progrès. La paix est d’abord dans les prières, mais pas seulement : la paix est l’aspiration du peuple juif, une aspiration sincère. La paix doit affronter des ennemis qui s’efforcent de nous atteindre afin de torpiller le processus de paix. Mais je veux le dire clairement : nous avons trouvé parmi les Palestiniens des partenaires, y compris l’OLP, qui ont cessé de se livrer au terrorisme. Sans partenaire pour la paix, il n’y a pas de paix. Nous leur demanderons qu’ils contribuent à la paix de leurs côtés de la même manière que nous le faisons des nôtres afin de résoudre le plus compliqué et le plus émotionnellement chargé aspect du conflit israélo-arabe : le conflit israélo-palestinien. Nous avons le faire.
La paix est liée à des difficultés, ainsi qu’à des souffrances. Il n’y a pas d’autre voie pour Israël que celle des souffrances. Mais la voie de la paix est préférable à celle de la guerre. Celui qui vous dit cela a été militaire et ministre de la Défense et voit les souffrances des familles des soldats de l’armée israélienne. Pour leur bien, pour le bien de nos enfants et de nos petits-enfants, je veux que ce gouvernement explore toutes les pistes, toutes les options, pour promouvoir et parvenir à une paix globale.
Ce rassemblement doit faire savoir au public israélien, au public juif dans le monde, à de très nombreuses personnes dans le monde arabe et dans le monde entier, que le peuple d’Israël veut la paix, soutient la paix, et pour cela, je vous remercie beaucoup.”
Yitzhak Rabin






