Comparer les combattants du Hamas aux résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, comme l’a notamment fait Francesca Albanese, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens, interroge et suscite le malaise. Cette comparaison déforme la compréhension du présent et témoigne surtout d’une volonté de moins en moins dissimulée de réduire le conflit israélo-palestinien à une répétition inversée de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Comme si s’exprimait, dans une partie de l’opinion publique, un « désir » de génocide à Gaza, puisque c’est précisément cette qualification juridique et historique qu’il s’agit d’appliquer au conflit israélo-palestinien pour apposer aux Israéliens et aux Juifs l’étiquette de « génocidaires ».
Pourtant, plus on étudie les ressorts, les dynamiques et les mécanismes ayant conduit à l’extermination des Juifs d’Europe, plus il apparaît que la comparaison avec la Shoah est intenable. Il devient également évident que la réalité de l’action du Hamas ne présente aucune similitude avec celle des résistants face aux nazis.
Les résistants, et plus particulièrement les résistants juifs, n’ont jamais mené d’attaques contre des civils allemands. Leur lutte, née au cœur des ghettos, était une réponse désespérée à un processus d’anéantissement total. Ils n’avaient ni armée, ni refuge, ni perspective de survie. Pourtant, ils ont constamment veillé à ne pas exposer leur propre population. Le cas du ghetto de Vilna (Lituanie), évoqué en 1961 par le poète et résistant Abba Kovner lors du procès Eichmann, en constitue l’illustration la plus poignante.
En juillet 1943, la Gestapo exige la livraison d’Itzik Wittenberg, chef des partisans juifs de Vilna. S’il ne se rend pas, elle menace de liquider le ghetto. Les partisans comprennent alors que la population, paniquée et persuadée que leur refus précipiterait un massacre, est prête à se retourner contre eux. Abba Kovner a évoqué dans une douleur profonde ce moment terrible : les Juifs, armés de bâtons et de haches, sont descendus dans la rue, non pour résister à l’occupant, mais pour empêcher les partisans de provoquer ce qu’ils croyaient être la destruction inévitable du ghetto. Les partisans ont demandé à Wittenberg de donner l’ordre de les affronter. Il a refusé. Il s’est alors défait de son revolver, a confié le commandement des partisans à Abba Kovner et a marché seul vers la porte du ghetto pour se rendre aux Allemands. Il a été abattu le lendemain. Traumatisé à vie par cet épisode, Abba Kovner a déclaré en 1961 : « L’affaire Wittenberg est peut-être le plus grand acte d’héroïsme de tous les combats. »
Ce geste tragique et héroïque symbolise l’impasse morale inouïe dans laquelle les Juifs furent plongés durant la Shoah : celle d’un « non-choix » absolu. À Vilna, comme ailleurs, aucune option n’était juste, aucune issue n’était bonne. Presque la totalité des Juifs (95%) de cette ville fut exterminée. Résister pouvait signifier condamner les siens, et ne pas résister signifiait accepter l’extermination. Dans cet espace où l’horizon moral était méthodiquement détruit, Wittenberg a choisi le sacrifice de soi, la seule décision qui ne coûtait pas immédiatement la vie d’innocents.
Cet épisode révèle une vérité simple : dans les ghettos, la résistance juive ne cherchait ni la mort d’innocents, ni l’instrumentalisation de la souffrance de sa propre population. Son combat était un acte de dignité fondé sur le refus absolu de sacrifier les innocents pour une cause armée.
Depuis le 7 octobre 2023, le Hamas a fait exactement l’inverse des résistants de Vilna. Le 7-Octobre, ses commandos ont délibérément visé des civils israéliens, tuant, violant et enlevant hommes, femmes et enfants. Non content de massacrer des populations désarmées, le Hamas a ensuite utilisé les civils de Gaza comme bouclier humain, installé ses infrastructures militaires au cœur des zones habitées et fait de la mort de Gazaouis un outil de communication politique. Aucune ambiguïté n’est possible : il ne s’agit pas d’une organisation de résistance mais d’une milice de tueurs fanatiques dont la stratégie repose sur la terreur et la mise en danger délibérée des populations civiles qu’elle prétend défendre.
Comprendre ce qui s’est passé à Gaza est indispensable. Mais comprendre ce qu’a été la Shoah l’est tout autant. Et confondre l’un et l’autre, c’est non seulement trahir l’histoire, mais se priver des outils nécessaires pour appréhender la réalité tragique et complexe du présent.







