La Décision. À l’origine de l’extermination des Juifs d’Europe, une série documentaire en quatre épisodes de Michel Spinosa diffusée sur France Culture, décrypte le processus décisionnel de la Shoah à travers les archives commentées par des historiens de la Shoah.
Faute de document écrit, il n’a jamais été possible pour les historiens de connaître la date précise de l’ordre formel d’exterminer l’ensemble des Juifs d’Europe. Cette question demeure pourtant le fil rouge de cette remarquable série documentaire. En s’efforçant de comprendre à quel moment la décision a été prise, les historiens accumulent des indications sur le sens que les acteurs du génocide lui donnaient.
Dès 1923, Hitler exprime déjà son désir fou de débarrasser l’Allemagne des Juifs : « Si nous voulons que l’Allemagne vive, nous devons détruire les Juifs” puis il ajoute : “Mais ce n’est pas possible : le monde entier nous tomberait dessus. […] Il ne reste donc que l’expulsion, l’expulsion de masse. » Et sitôt arrivés au pouvoir, les nazis font tout pour que les Juifs quittent l’Allemagne. Mais le 30 janvier 1939, Hitler menace l’ensemble du peuple juif lorsque, dans un discours qu’il prononce devant le Reichstag, il fait part de sa « prophétie » aux dignitaires du IIIe Reich : « En ce jour mémorable, peut-être pas seulement pour nous Allemands, il y a une chose que je voudrais dire : dans ma vie j’ai été très souvent prophète et le plus souvent on a ri de moi. À l’époque de mon combat pour le pouvoir, c’était au premier chef le peuple juif qui accueillait mes prophéties par le rire. Je prophétisais qu’un jour je prendrais en Allemagne la direction de l’État et par cela celle du peuple entier et qu’alors, parmi beaucoup d’autres problèmes, je résoudrais le problème juif. Je crois que ce rire sonore d’alors du judaïsme (Judentum) en Allemagne s’est entre-temps étouffé dans la gorge. Je veux aujourd’hui de nouveau être un prophète : si le judaïsme financier international, en et hors d’Europe, devait réussir à pousser les peuples une fois encore dans une guerre mondiale, alors le résultat ne sera pas la bolchévisation de la Terre, et par là la victoire du judaïsme, mais l’anéantissement de la race juive en Europe. »
Avec l’annexion de la Pologne à l’automne 1939, c’est plus de 2,5 millions de Juifs qui tombent sous domination allemande. Les responsables nazis accumulent alors les plans de « réserve juive », de « solution finale » et de « transplantation » en Pologne, à Madagascar, ou même en Sibérie, où ils envisagent de déporter des millions de Juifs européens. Dès l’invasion de l’Union soviétique, fin juin 1941, des unités allemandes assassinent des milliers d’hommes juifs, depuis les pays baltes jusqu’à l’Ukraine. Le 31 juillet 1941, Hermann Göring autorise le chef de l’Office Central de la Sécurité du Reich, Reinhard Heydrich, de préparer la « solution finale souhaitée de la question juive ». Le 1er août 1941, un ordre du chef suprême de la SS, Heinrich Himmler est envoyé à ses Brigades de cavalerie, déployées en Biélorussie : « Ordre formel du Reichsführer-SS Himmler : tous les Juifs doivent être abattus. Poussez les femmes juives dans les marais. » Pour l’historien Nicolas Patin cet ordre est essentiel : « Parce qu’à mon avis, toute la logique du génocide est là. Himmler dit à des unités locales : ‘‘Vous continuez à fusiller les hommes, vous emmenez les femmes dans les marais’’. C’est-à-dire pour qu’elles soient tuées ou qu’elles y meurent. »
À l’automne 1941, le processus connaît une accélération foudroyante. Les 29 et 30 septembre 1941, les Einsatzgruppen et leurs auxiliaires ukrainiens assassinent 33.771 Juifs à Babi Yar, dans la banlieue de Kiev. Avec ce massacre génocidaire, la « solution finale » signifie désormais l’assassinat. En effet, plus de 500.000 Juifs seront exterminés par les Einsatzgruppen allemands, entre le 22 juin et la fin de l’année 1941, dans les territoires soviétiques conquis.
« Faire table rase »
À cette date, pourtant, la « solution finale » ne concerne pas encore l’ensemble des Juifs d’Europe. Des signes indiquent pourtant que les nazis sont déterminés à s’en occuper. En octobre 1941, l’émigration des Juifs des territoires sous contrôle allemand est interdite, les Juifs du Reich sont déportés vers l’Est et, dans le district de Lublin, en Pologne occupée, la construction du centre de mise à mort de Belzec est planifiée. Fin novembre 1941, Heydrich lance des invitations pour une réunion qui doit se tenir à Wannsee et dont l’objet sera « la solution finale de la question juive en Europe ». Début décembre, avec l’entrée en guerre des États-Unis, la guerre devient mondiale. La réunion de Wannsee est reportée en janvier 1942 et Hitler annonce devant des responsables du parti nazi, le 12 décembre 1941, que pour ce qui concerne la question juive, le moment est venu de « faire table rase ». Le 18 décembre, Himmler note dans son agenda que les Juifs devront être « exterminés en tant que partisans ». Les Juifs, faut-il comprendre, devront donc tous subir le sort réservé aux partisans, autrement dit : l’exécution. Pour de nombreux historiens, cela signifie que la décision d’exterminer tous les Juifs d’Europe a été prise début décembre 1941.
Après la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, une chose est certaine : au printemps commencera la concrétisation d’un plan généralisé d’extermination des Juifs à l’échelle d’un continent. Apogée de l’Allemagne nazie en Europe, l’année 1942 est aussi celle de l’acmé du génocide : plus de 2,7 millions de Juifs sont assassinés au cours de cette seule année. La machine exterminatrice bat son plein tant à l’Est qu’en Europe occidentale.






