Rosh Hashana, pour nous qui inscrivons notre judaïsme dans une tradition laïque et humaniste n’est pas qu’un rituel mais un moment de lucidité. Ce nouvel an n’est pas une échappée spirituelle mais une halte critique : un temps pour faire retour sur soi, et surtout pour penser ce que le monde nous demande aujourd’hui d’être.
Et ce que le monde nous montre, cette année, est vertigineux. La guerre ravage toujours le Proche-Orient, avec son lot de tragédies humaines, de douleurs inconsolables, d’impasses politiques et morales. Dans le monde, les actes antisémites se multiplient, les discours se durcissent, et la légitimité même de la souffrance juive est parfois niée, relativisée ou contestée. Beaucoup parmi nous vivent ce moment comme un retour brutal d’une solitude historique.
Dans ce climat, la tentation est forte de se replier. D’opposer nos morts à ceux des autres. De se protéger dans une empathie sélective, communautaire et défensive. C’est un réflexe humain, mais c’est aussi un piège. Le judaïsme que nous portons – un judaïsme de pensée, d’éthique et de mémoire – nous appelle à faire exactement l’inverse.
Car notre tradition n’a jamais été un simple héritage identitaire. Elle est un appel à relier l’universel à partir de notre singularité. Nos textes, du Talmud à Levinas, ne cessent de rappeler que la fidélité à soi ne vaut que si elle s’accompagne de responsabilité envers l’autre. Même, et surtout, quand cet autre nous dérange, nous échappe, nous trouble ou nous inquiète.
Emmanuel Levinas, relisant la tradition juive après la Shoah, affirmait que l’éthique commence dans cette capacité à se laisser interpeller par le visage d’autrui. À ne pas céder à la logique des camps, à refuser la déshumanisation réciproque. Ce n’est pas un appel à la naïveté mais à la vigilance. Une vigilance qui n’oublie pas la souffrance juive, mais qui refuse qu’elle devienne notre seul prisme.
À Rosh Hashana, on sonne le shofar. Ce cri brut sans mots est un appel. Il ne donne pas de réponses.
Il oblige à écouter.
À ne pas détourner les yeux.
À rester humains, malgré la peur et la colère.
Il nous rappelle que le monde ne commence pas avec nous, mais qu’il peut recommencer avec chacun de nos choix.
Dans ce contexte, choisir un judaïsme laïc et humaniste, c’est affirmer que notre attachement au peuple juif ne se fait pas au détriment de notre engagement envers les droits, la justice, la dignité humaine pour tous. C’est refuser de nous laisser enfermer dans un face-à-face victimaire. C’est choisir malgré tout d’ouvrir notre conscience sans renier notre histoire.
Le CCLJ porte cette voix. Celle d’un judaïsme debout, ancré dans la mémoire mais tourné vers l’avenir. Un judaïsme qui pense, qui débat, qui doute parfois mais qui ne cède ni à la haine ni à la peur. En ce Rosh Hashana 5786, faisons le vœu de rester fidèles à cette exigence. Non pour fuir le monde, mais pour y tenir notre place, avec clarté, courage et humanité.
Shana tova !
« La dignité humaine exige à la fois le respect de soi et le respect d’autrui »
Moïse Maimonide
Le visuel qui accompagne ce texte provient des illustrations d’Espérance De Keyser pour le prochain ouvrage de Mireille Dahan dans lequel vous retrouverez, entre autre, l’histoire et les traditions de Rosh Hashana expliquées aux jeunes.






