Trump 2.0 : soutien d’Israël, mais jusqu’où ?

Frédérique Schillo
Le soutien de Trump à Israël : une divine surprise pour les sionistes religieux et pour un Netanyahou poursuivi par la CPI, mais qui pourrait pourtant coûter cher.
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« Si je perds les élections, les Juifs y seront pour beaucoup », avait mis en garde Trump à un mois du scrutin. Il craignait alors un résultat serré où les Américains juifs, traditionnellement démocrates, critiques sur la dérive illibérale d’Israël et surtout inquiets pour la démocratie, feraient basculer le vote en faveur de sa rivale. Mais nul besoin de blâmer les Juifs : Trump a été réélu triomphalement. Leur doit-il pour autant sa victoire ? Selon les sondages sortis des urnes, 79 % des Américains juifs ont voté Kamala Harris, accordant 21 % au Républicain, soit le plus faible score depuis Reagan en 1980. Même si, dans certains districts juifs de Pennsylvanie et même dans des quartiers de New York, Trump a pu recueillir jusqu’à 40 % des voix. « Le vote juif reste démocrate, mais Trump attire à lui des électeurs conservateurs, séduits par son programme pro-business ou bien par sa fermeté face à Téhéran, comme dans les communautés juives russophones et iraniennes », nous explique la chercheuse américaine Sara Hirschhorn, de l’Université de Haïfa. 

Si les électeurs juifs avaient été des Israéliens, Trump aurait remporté 72 % des suffrages. Le 47e président américain, bien que jugé mauvais et dangereux par les Juifs de son pays, sera-t-il bon pour Israël ? Il apparaît comme une divine surprise pour les sionistes religieux et pour un Netanyahou poursuivi par la CPI pour crimes de guerres et crimes contre l’Humanité. Que peut réserver son prochain mandat au Moyen-Orient, étant entendu que s’il est bien une chose dont on peut être sûr, c’est qu’il est totalement imprévisible.

Make « America First » Again

Lors de son premier mandat, Trump a été capable de grands coups diplomatiques, tels les Accords d’Abraham, et de fiascos retentissants, comme le « deal du siècle » israélo-palestinien ou sa poignée de main avec le dictateur nord-coréen Kim Jong-un qui avait affolé les caméras. Créature médiatique façonnée par la téléréalité, Trump cultive d’abord son personnage iconoclaste, volontiers vulgaire, qui fait fi des conventions, moque les élites et vient défier « l’État profond » pour s’adresser directement au peuple. En ce sens, il est dans la droite ligne du président Andrew Jackson (1829-1837), son modèle populiste, complotiste et nationaliste, dont il avait d’ailleurs accroché le portrait dans le bureau ovale.

Sa conduite en politique étrangère se veut aussi disruptive, avec pour seule boussole : « America First ». Tel un ado rebelle aux normes sociales, Trump envoie valser tous les codes. Sa première décision en politique extérieure fut de rompre l’accord commercial transpacifique. Il passera ensuite son mandat à déchirer des traités au motif qu’ils sont onéreux ou politiquement biaisés : retrait des Accords de Paris sur le climat, du Conseil des droits de l’Homme et de l’UNESCO jugés anti-israéliens, fin des subventions à l’UNRWA, et bien sûr retrait de l’accord nucléaire avec l’Iran, dont on paye les conséquences puisque Téhéran, délié de ses engagements, est proche d’acquérir la bombe. De même, au mépris du droit international, Trump a transféré l’ambassade américaine à Jérusalem et reconnu l’annexion du Golan. Un geste symbolique fort, mais isolé sur la scène internationale. 

Que la paix soit avec vous

L’auteur de L’Art du deal se place d’emblée dans une posture agressive, tout en se montrant créatif si la négociation sert ses intérêts. Les accords d’Abraham sont le parfait exemple de cette diplomatie transactionnelle : les États du Golfe et le Maroc avaient intérêt à officialiser leurs relations avec Israël en échange d’accords économiques et militaires. La prochaine étape est leur élargissement à l’Arabie saoudite, interrompu par le 7 octobre. Le fait qu’ils aient résisté à l’épreuve de la guerre à Gaza est déjà un succès pour Trump. Mais le même « faiseur de deal » est capable de signer sur un coin de table un accord avec les Talibans, pour peu qu’il permette aux « boys » de quitter le Moyen-Orient. Là encore, Trump fait du Jackson : fort à l’intérieur, avec la volonté d’en finir avec des guerres extérieures inutiles et coûteuses. 

Lâchera-t-il la bride à Israël pour lui permettre de frapper des installations nucléaires en Iran ? Fin 2019, il avait choisi de ne pas répondre aux attaques iraniennes contre deux sites pétroliers en Arabie saoudite, signalant que l’ère de l’Amérique « gendarme du monde » était révolue. Soucieux de se focaliser sur la Chine, Trump a déjà prévenu qu’il fallait « un accord sur l’Iran, car les conséquences sont impossibles ». De même il dit pouvoir mettre fin au conflit en Ukraine « en 24 heures », et déplore que Netanyahou n’ait pas achevé la guerre à Gaza. Message reçu. Sans attendre son investiture, le 20 janvier, le Liban a annoncé vouloir un accord pour revenir à la résolution 1701. L’Iran, craignant d’être écrasé sous de nouvelles sanctions économiques, se dit ouvert à des négociations sur le nucléaire. Le Qatar a suspendu sa médiation à Gaza et pourrait expulser les dirigeants du Hamas. 

Un cocktail explosif de chrétiens évangéliques et de Juifs messianistes ?

Le non-interventionnisme de Trump tranche avec son gouvernement de zélotes va-t-en guerre. Difficile de faire plus pro-israélien et faucon que l’ancien gouverneur de Floride, Marco Rubio, nouveau secrétaire d’État, et Pete Hegseth, un vétéran devenu présentateur sur Fox News, nommé à la Défense. Le premier considère l’élimination de Nasrallah comme « un service rendu à l’humanité » ; le second qu’il faut donner à Israël toutes les armes dont il a besoin pour empêcher la bombe en Iran. Très religieux, tous deux ont un rapport mystique à la Terre sainte. « Born again » évangélique, Hegseth est d’ailleurs couvert de tatouages religieux, certains en hébreu, d’autres associés à la première croisade. 

La victoire de Donald Trump saluée dans une rue de Jérusalem. ©Schillo

À l’ONU débarque la membre du Congrès Elise Stefanik, héroïne de la lutte contre l’antisémitisme sur les campus, qui va batailler pour empêcher Israël de devenir un État paria. Enfin pour l’ambassade à Jérusalem, Trump a choisi l’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee, un pasteur baptiste qui se targue d’avoir organisé « 100 visites » en Israël et dans les colonies. « Les colonies n’existent pas, l’occupation n’existe pas ! », lançait-il il y a quelques années depuis Maale Adumim. L’annexionniste Bezalel Smotrich exulte : « 2025 est l’année de la souveraineté en Judée-Samarie ». Un tel aéropage a de quoi électriser les sionistes religieux. Cependant, « Trump a surtout choisi des personnes qui lui sont loyales et appliqueront ses décisions à la lettre », modère Sara Hirschhorn, spécialiste du mouvement des colons, qui souligne que « Rubio va en outre devoir composer avec un Département d’État critique à l’égard d’Israël, plutôt favorable à un embargo sur certaines armes et des sanctions contre les colons. »

L’image de Trump, yeux fermés, entouré d’évangélistes le bénissant est troublante. Il faut toutefois réévaluer leur influence, nous dit Dov Maimon, chercheur au Jewish People Policy Institute. « Pour les chrétiens évangéliques, Israël est à l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie. Leur soutien est indéfectible, mais pas prioritaire. Ils représentent une petite bourgeoisie très conservatrice, en réalité peu informée sur Israël, qui place la question de l’avortement et l’économie au premier plan. » Sans compter qu’un changement générationnel s’opère, décrypte Maimon dans une étude co-signée avec Shlomo Fischer : « Les jeunes évangélistes embrassent une vision plus progressiste, notamment sur des sujets comme le changement climatique, la justice raciale et les droits LGBTQ+. Ils deviennent aussi plus critiques à l’égard d’Israël, à l’image de leurs compatriotes juifs. » De quoi inciter Ron Dermer à se raviser. Ce proche de Netanyahou, aujourd’hui son ministre aux Affaires stratégiques, avait suggéré en 2021 de renoncer à s’attacher les Américains juifs, jugés irrécupérables, pour leur préférer les évangélistes.

Trump, apôtre de la solution à deux États

Trump est-il prêt à favoriser l’annexion de la Cisjordanie pour satisfaire évangélistes et sionistes religieux ? Rien n’est moins sûr. Sa « vision pour la paix » de 2020, préparée sous la direction de son gendre Jared Kushner, reposait sur le principe de deux États, avec Jérusalem unifiée restant sous souveraineté israélienne, et les quartiers de Jérusalem-Est situés à l’extérieur de la barrière de sécurité comme capitale de la Palestine. Trump serait tenté de relancer le plan dans la perspective de l’après-guerre à Gaza. En effet, Égyptiens, Émiratis et Saoudiens pourraient être sollicités pour aider l’Autorité palestinienne à gérer l’enclave après le retrait de Tsahal. L’enjeu serait d’obtenir un cessez-le-feu et le retour des otages. Mais leur venue pourrait aussi ouvrir la voie à une forme de normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. À ceci près que le prince héritier MBS, qui conditionne la normalisation à « un État palestinien », va faire monter les enchères après le mandat de la CPI contre Netanyahou.

Après l’euphorie de sa victoire, le retour de Trump pourrait donc annoncer un réveil douloureux pour Israël. Si un tel plan de paix est engagé, il en coûtera à la droite israélienne, aux sionistes religieux, à la coalition et finalement à Netanyahou lui-même, bien qu’il soit prêt à tout pour rester au pouvoir. L’idée d’un accord de paix israélo-palestinien enchâssé dans une grande alliance tournée contre l’Iran, regroupant Américains, Israéliens et États sunnites modérés, est peut-être utopique. Mais la solution à deux États étant la seule capable de garantir la sécurité d’Israël, c’est encore la perspective la plus réjouissante à l’aube du nouveau mandat de Donald Trump.

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Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris