Regards n°1113

La Cisjordanie et Gaza, mêmes combats

Au moment où Israël intensifie ses activités antiterroristes à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, la droite annexionniste y trouve une compensation politique au cessez-le-feu à Gaza.

Ce n’est pas une coïncidence : le 21 janvier, deux jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu dans la bande de Gaza, Tsahal a lancé une vaste opération antiterroriste à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Une réorientation stratégique logique compte tenu de l’escalade de la violence dans cette région considérée comme l’un des principaux fronts ouverts par les massacres du 7-Octobre 2023. Mais une décision qui n’en est pas moins dictée par des impératifs de politique intérieure, l’opération en Cisjordanie apparaissant comme une compensation accordée par Benjamin Netanyahou à ses alliés d’extrême droite, qui venaient de voter contre la trêve à Gaza et menaçaient, à l’instar d’Itamar Ben Gvir de quitter le gouvernement et de faire chuter la coalition. Le ministre des Finances, Betzalel Smotrich, revendique d’ailleurs d’avoir fait inscrire la Cisjordanie, ou plutôt « la Judée-Samarie » comme il l’appelle de son nom biblique, parmi les « objectifs de guerre ajoutés par le cabinet de Sécurité ». Étant entendu que ces objectifs sont les mêmes à Jénine que ceux affichés pour Gaza : « éradiquer le terrorisme », a martelé Netanyahou. L’opération en Cisjordanie est baptisée Mur de fer, en référence à la doctrine de Zeev Jabotinsky, le fondateur du sionisme révisionniste. Comme un ultime clin d’œil à la droite extrême.

« Mini-Gaza »

La comparaison avec Gaza n’est pas seulement rhétorique. Les moyens engagés par Tsahal dans le nord de la Cisjordanie sont considérables et ressemblent à ceux utilisés dans la guerre contre le Hamas : drones, hélicoptères, tanks et autres camions blindés sont déployés en force. On trouve également des Caterpillar D9, ces bulldozers blindés à chenilles chargés de détruire des bâtiments pour faire place à de larges routes qui vont ensuite faciliter le mouvement des troupes. La méthode avait été éprouvée en 1971 par Ariel Sharon contre les camps de Jabalia et Shati dans la bande de Gaza. Elle est aujourd’hui la norme dans le nord de la bande côtière, en grande partie détruite. Certains observateurs craignent désormais de découvrir les mêmes scènes de désolation en Cisjordanie. « Quand on voit les images du camp de réfugiés de Jénine, on parle en termes de mini-Gaza », admet sur i24news le chef de la coordination militaire dans le secteur, alors que Tsahal élargit ses activités au camp de réfugiés de Nur al-Shams, près de Tulkarem. Le directeur de l’ONG Breaking the Silence, Nadav Weiman, va jusqu’à évoquer une « gazafication de toute la partie nord de la Cisjordanie ». D’autant que, là aussi, Tsahal peut avoir à prendre pour cible des bâtiments de l’UNRWA ou encore des lieux normalement sanctuarisés comme l’hôpital de Jénine, repaire de terroristes.

Autre fait troublant, contrairement aux opérations menées en Cisjordanie durant quelques heures voire quelques jours, on ignore combien de temps va durer Mur de fer. Ses objectifs excèdent le simple raid punitif explique au Haaretz le commandant de la brigade territoriale Menashe, en charge des secteurs de Jénine et Tulkarem : « Cette fois nous voulons neutraliser le bataillon de Jénine [formé du Hamas, du Djihad islamique et des brigades du Fatah] » ; le but est de « remodeler la zone ». Et pour ce faire, l’armée prévient qu’elle maintiendra une présence dans la ville après l’opération, qui pourrait s’étendre sur plusieurs mois.

En attendant, ce Mur de fer entraîne déjà des conséquences humanitaires similaires à celles de Gaza, notamment des déplacements massifs de population. Selon le maire de Jénine, le camp de réfugiés densément peuplé dans l’est de la ville s’est vidé de 40 % de ses habitants. Environ 2.000 personnes auraient quitté Tulkarem ; 9.000 selon les chiffres du gouverneur palestinien du secteur. Au total, en trois semaines, ce sont plus de 30.000 personnes qui auraient fui les combats en Cisjordanie. Un exode sans précédent depuis la guerre des Six Jours en 1967.

Un enjeu sécuritaire pour Israël, mais aussi pour l’Autorité palestinienne

Loin de minimiser la brutalité de l’opération, les Israéliens sont les premiers à tisser le lien entre Jénine et Gaza. D’abord parce que Tsahal s’inspire de la guerre contre le Hamas, comme l’explique le ministre de la Défense Israël Katz, pour qui Jénine est « la première leçon tirée de la méthode des raids répétés à Gaza ». Surtout parce que les Israéliens sont obsédés par l’idée de revivre la tragédie du 7-Octobre. Une peur existentielle a saisi les communautés du Nord face au Hezbollah. La même angoisse étreint aujourd’hui les Juifs résidant en Cisjordanie ou aux abords de la barrière de Sécurité. « Nous ne permettrons pas aux armes du régime iranien et de l’Islam sunnite radical de mettre en danger la vie des colons et d’établir un front terroriste à l’est de l’État d’Israël », prévient Katz. Et Smotrich de renchérir en appelant à la défense des implantations « afin que Kfar Saba [en Cisjordanie] ne devienne pas Kfar Azza [le kibboutz martyre face à Gaza].

Estampillée « Capitale de l’Intifada » depuis la sanglante « bataille de Jénine » en 2002, la cité s’était pourtant métamorphosée en passant sous contrôle des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) en coordination avec les Américains six ans plus tard, profitant de son emplacement pivot au nord de la Samarie et d’une économie prospère grâce au commerce avec les Arabes israéliens. Las, 2019 a sonné la fin du miracle. Le crash économique dû à la pandémie, la crise sécuritaire, née de la décision de Mahmoud Abbas de suspendre la coopération avec Israël à la suite du Deal du siècle de Trump, et enfin la crise politique qui a suivi l’annulation des élections et l’escalade de mai 2021 ont achevé d’affaiblir l’AP. Le camp de Jénine est redevenu un puissant vivier terroriste, alimenté par la contrebande d’armes en provenance de Jordanie. En 2024, les attaques terroristes ont littéralement explosé en Cisjordanie, avec 6.828 attentats selon le Shin Beth, soit le double de l’année précédente. Des roquettes ont même été tirées sur des colonies juives. À Jénine, des affiches appellent à reprendre Haïfa, d’où sont originaires les réfugiés ayant fui en 1948, et bien sûr Jérusalem.

Face à cette explosion de violence, les forces palestiniennes ont elles-mêmes conduit un raid fin décembre pendant plusieurs semaines, en coordination avec le chef des services secrets palestiniens Majed Faraj. L’unité d’élite 101, forte de 2.000 soldats entraînés par les Américains, a ainsi tenté de reprendre le contrôle du camp et de neutraliser les cellules terroristes. Baptisée « Protéger la patrie », l’opération avait aussi une portée politique : relégitimer Mahmoud Abbas et l’AP auprès du nouveau président Donald Trump, pour mieux les imposer comme alternative au Hamas dans un futur plan de paix à Gaza.

Des gages aux annexionnistes

L’opération de Tsahal a bousculé les plans. Nul doute que pour Netanyahou et ses alliés, Mur de fer vient accréditer l’idée que comme Mahmoud Abbas a été incapable de restaurer l’ordre à Jénine, on ne saurait lui confier de responsabilités à Gaza. Ainsi, quand le Hamas a annoncé, mi-février, être prêt à céder le pouvoir à Abbas, Netanyahou y a opposé un refus net : « Hors de question », a fait savoir son porte-parole. Pas impatient de négocier la seconde phase du cessez-le-feu pouvant conduire à la fin de la guerre, Netanyahou s’est en revanche empressé de louer le plan Trump pour Gaza, aussi irréaliste et dangereux soit-il, tant il lui offre l’occasion de rester au pouvoir en flattant ses alliés les plus extrêmes. Et c’est désormais toute la droite messianique, enchantée à l’idée d’un déplacement massif des Gazaouis, qui se prend à nouveau à rêver d’une annexion de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain [voir encadré].

Autre gage accordé aux annexionnistes, Katz a levé la détention administrative pour les résidents des colonies soupçonnés de violence, tandis que Trump a mis fin aux sanctions prises contre eux sous Biden. C’est « le prix que Smotrich a obtenu en échange de son accord de cessez-le-feu à Gaza », dénonce Mohayad Shaaban, ministre de l’AP. Et de fait, dans une violence débridée par l’opération Mur de fer, les attaques de colons contre les Palestiniens s’intensifient : maisons brûlées, véhicules attaqués, champs détruits. Le tout dans une relative indifférence. L’opinion a toujours les yeux rivés sur Gaza, sans savoir qu’un nouveau Gaza se profile peut-être en Cisjordanie.

Vers une annexion de la Cisjordanie ?

Après son plan pour Gaza, Trump va-t-il soutenir l’annexion de la Cisjordanie ? La droite israélienne veut y croire. Même si pareille décision serait un revirement spectaculaire.

Retour en arrière : 28 janvier 2020, à la Maison-Blanche, Trump présente sa « Vision pour la Paix », un plan pour un État palestinien démilitarisé en Cisjordanie, amputé des grands blocs de colonies, relié à la bande de Gaza par un couloir terrestre, avec pour capitale Jérusalem située à l’Est du mur de Sécurité. À ses côtés, Netanyahou, tentant de faire oublier qu’il s’agit là d’une solution à deux États, lance, à destination de son électorat, que le président américain restera « le premier dirigeant mondial à reconnaître la souveraineté d’Israël sur des zones de Judée-Samarie qui sont vitales pour notre sécurité et essentielles à notre patrimoine. » Malaise dans la salle, Trump esquisse un vilain rictus. Son équipe avait pourtant interdit à Netanyahou de parler d’annexion. À son beau-fils et conseiller pour le Moyen-Orient Jared Kushner, il souffle alors, comme le rapporte ce dernier dans ses mémoires : « Bibi a donné un discours de campagne. Je me sens sale. »

La menace d’une annexion allait finalement servir de leurre pour amener Bahreïn et les Émirats arabes unis à franchir le Rubicon et normaliser leurs relations avec Israël. Netanyahou ne reparlera plus d’annexion. Qui sait si aujourd’hui le plan Trump pour Gaza n’est pas une ruse pour pousser les partenaires du Golfe à s’investir dans la reconstruction de Gaza, voire à élargir les Accords d’Abraham à l’Arabie saoudite, laquelle exige toujours en contrepartie la promesse d’un État palestinien.

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