Tauba « Tony » Susskind est née le 10 avril 1927 à Anvers dans une famille juive religieuse. Dès 1938, Tony suit les activités d’un mouvement de jeunesse juif et religieux : le Bnei Akiva. Désireuse de suivre l’enseignement de sa mère, influencée par le Bnei Akiva mais surtout traumatisée par la peur qu’elle vit constamment depuis l’invasion nazie, Tony, très jeune déjà, ne rêve que d’un lieu où les Juifs seront en sécurité.
Après avoir suivi ses études dans l’enseignement belge, après avoir connu le tampon rouge « Jood-Juif » sur sa carte d’identité, le port de l’étoile, l’éviction de l’école, Tony devra affronter la tragédie de la déportation des Juifs de Belgique. Dans la nuit du 15 août 1942, l’occupant nazi secondé par des SS et policiers belges met en œuvre la Solution finale en conduisant la première rafle dans le quartier juif d’Anvers. Par un coup du sort, David, Tony et leur mère échappent à la rafle. Les nazis ont oublié de « visiter » quelques maisons dont la leur située au 167 Provinciestraat. David et Tony sont marqués à vie par les cris de ces Juifs qu’on arrache brutalement à leur sommeil pour les emmener vers l’inconnu.
Sa mère, Mala-Léa Susskind, assène depuis longtemps assène à ses voisins en yiddish : « Les nazis ne prendront pas mes enfants, ils ne peuvent rien en faire de bon », décide de vendre le peu qu’elle possède afin de mettre ses enfants à l’abri. Péniblement, elle parvient à réunir une somme qui correspond à deux passages clandestins en Suisse et organise le départ de ses enfants tout en leur promettant de les rejoindre dès qu’elle aura de l’argent pour son passage. Ses derniers mots en yiddish pour David : « Zei a Mensch, David » (Sois un homme – Mensch : terme yiddish désignant un homme ou une femme d’exception au comportement exemplaire). Tony a souvent rappelé que pas un jour ne passe sans qu’elle ne revive cette effroyable séparation.
Le passage clandestin en Suisse est une épreuve difficile. Comme l’a expliqué Tony, « A la frontière, nous échappons à la Gestapo grâce à un jeune communiste français qui nous aide à pénétrer en Suisse où nous sommes arrêtés par la police. On nous reconduit à la frontière et nous nous cachons dans des buissons pour ne pas être pris par les Allemands, et nous retournons en Suisse. Cette fois, nous parvenons à échapper à la surveillance de la police et gagnons Zurich avec la complicité de la communauté juive de Nyon. Nous sommes internés dans un camp. Je tombe malade et suis libérée. Suss est lui placé dans un camp de travail dont il s’échappe avec d’autres internés pour regagner la France et rejoindre le maquis FTPF ».
En Suisse, Tony souffre d’une infection pulmonaire. Elle entre à l’hôpital où elle a la chance d’être prise sous l’aile de Sœur Annie, femme quaker au comportement exemplaire qui parviendra à lui procurer un permis de séjour. Tony reprend ses études, hébergée par une famille lointaine qui ne peut la nourrir, elle doit subsister avec 40 FS par mois et la soupe populaire le midi. De cette époque, Tony dit : « Je pleurais tous les jours mais j’étais une bonne élève. » Après avoir reçu 4 cartes postales de leur maman, c’est le silence. Tony pressent qu’elle ne la reverra plus.
La guerre terminée, Tony reste à Zürich où elle fréquente à nouveau un mouvement de jeunesse juif et décide de partir pour la Palestine. Pour elle, après la Shoah, les Juifs n’ont plus aucune raison de rester en Europe. Fin juin 1945, dans le cadre de l’Aliyah des Jeunes, elle rejoint Barcelone avec un passeport d’apatride et se retrouve à bord du premier bateau civil qui traverse la Méditerranée après la guerre. Elle s’installe au Kibboutz religieux Yavneh dans le centre d’Israël, affilié au Bnei Hakiva, et rencontre Aaron Weber, Juif autrichien engagé dans la Brigade Juive qui s’apprête à repartir au combat en Europe. Ils se marient en 1949 et auront deux enfants, Shira et Roy.
Tony Weber Susskind est passée de la nationalité polonaise au statut d’apatride, puis obtient une carte d’identité du gouvernement de Palestine et devient finalement israélienne en 1948. Un des combats chers au cœur de Tony est la reconnaissance par l’État belge de la souffrance de tous les Juifs qui vivaient en Belgique pendant la Shoah, quelle qu’ait été leur nationalité à ce moment-là.
Tony a trouvé en Israël la sérénité et la sécurité auxquelles elle aspirait tant durant son enfance en Europe. Mais, comme l’immense majorité des rescapés de la Shoah, elle s’est longtemps tue sur cette période douloureuse de la guerre. « En Israël, les gens ne voulaient pas savoir. Toutes nos forces étaient engagées dans la construction d’un nouvel avenir ». Désireuse de protéger ses enfants et « qu’ils grandissent sans le malheur », elle préserve encore un de ses petits-enfants qui l’interroge sur son histoire : « J’essaye de ne pas lui mentir mais je ne raconte pas toute la vérité. »
Alors que le CCLJ organisait en 2007 l’exposition « Destins d’enfants juifs survivants en Belgique sous la tourmente nazie », une exposition itinérante à l’intention des écoles secondaires, des maisons communales et des associations, Tony Weber Susskind avait transmis trois souhaits aux jeunes générations :
« Je fais le vœu que les peuples du monde comprennent que la guerre ne résout pas les conflits et qu’au contraire elle en crée de nouveaux. »
« Je fais le vœu qu’un jour tous les peuples seront conscients que le racisme et l’antisémitisme ont causé l’assassinat, par le peuple allemand et leurs alliés européens, de plus de six millions de Juifs et parmi eux un million et demi d’enfants. J’espère et je prie que tous les responsables et les gens qui ont planifié ces horreurs seront jugés et punis par les hommes et par Dieu. »
« J’espère que toutes les tendances au sein du peuple Juif trouveront un langage commun. »
Il était difficile de ne pas tomber sous le charme de cette femme attachante qui vous parlait à la fois en français, en hébreu, en yiddish, et parfois en néerlandais. Même si Tony a fait des choix idéologiques et spirituels différents de son frère Suss, elle avait cette même capacité de vous exprimer ses enthousiasmes et ses indignations avec des mots simples et justes. Gare à celle ou celui qui lui tenait tête. Il fallait avoir un bon argumentaire et du caractère pour lui dire non. Mais pourquoi dire non à une dame qui ne demandait rien d’indigne ni d’injuste.
Nous souhaitons nos plus sincères condoléances à ses enfants, Shira et Roy, ses neveux et nièces, Amos, Noa et Michèle, ainsi qu’à ses petits-enfants, arrière-petits-enfants, toute sa famille et ses proches.
C’est avec une TRÈS grande émotion que je prends connaissance du décès de Tony.
Merci Tony d’avoir pu faire ta connaissance lors de toute l’élaboration de la pose du Pave de Mémoire scellé au nom de ta chère Maman…je suis heureuse de t’avoir connue! En mon nom et au nom de l’Association pour la Mémoire de la Shoah je présente mes condoléances à toute la famille, Bella Swiatlowski-Silovy