Ce vote massif n’a rien d’étonnant. Il ne fait que confirmer leur attachement historique au Parti démocrate. Mais dans le contexte de cette élection si particulière, ce vote traduit surtout leur incompatibilité avec Donald Trump.
En effet, les Juifs américains, urbains, éduqués et plutôt progressistes, peuvent difficilement être séduits par un homme qui a érigé en qualités ce qu’ils considèrent comme les pires défauts (cupidité, mensonge, impolitesse, grossièreté, vulgarité, sexisme, ignorance, etc.). Comment peuvent-ils voter pour un président qui n’a cessé d’afficher ostensiblement son mépris pour ce qu’ils valorisent : la rigueur intellectuelle, l’exigence éthique, le souci de vérité, la justice, l’égalité, la tolérance, le respect du bien commun, etc. Sans oublier que Donald Trump a tout au long de son mandat affiché son soutien à des mouvements suprémacistes, racistes et complotistes, tous animés par une haine obsessionnelle des Juifs.
Les Juifs américains ont surtout compris qu’avec ses délires complotistes, ses mensonges et ses rumeurs les plus folles qu’il répand sur Twitter, ce président ne peut qu’affaiblir la démocratie américaine. Or, et ce n’est pas neuf, le destin des Juifs est étroitement lié à celui de la démocratie. Ce n’est que lorsqu’elle est fidèle à elle-même et suffisamment forte pour imposer ses valeurs que les Juifs peuvent s’épanouir.
Leur attachement aux principes universels des droits de l’Homme, à l’Etat de droit et au pluralisme démocratique a aussi des racines proprement juives. La juge à la Cour suprême décédée cette année, Ruth Bader Ginsburg ne manquait jamais une occasion pour souligner le lien entre le judaïsme et sa quête de justice. « La religion juive est une religion éthique », déclarait-elle. A cet égard, il faut bien admettre que Donald Trump et l’éthique n’ont jamais fait bon ménage.
Ce qui est bon pour la plus importante communauté juive de diaspora (près de six millions de Juifs) est sûrement bon pour les Juifs du monde entier. Curieusement, cette affirmation n’est pas partagée par une majorité d’Israéliens ni une minorité de la diaspora européenne. Cette inclinaison pour Trump s’explique surtout par le lien qu’ils font entre ce dernier et Benjamin Netanyahou. Ils n’ont pas tout à fait tort. Au-delà de la proximité idéologique, les deux hommes empêtrés dans des scandales judiciaires cultivent effectivement une même rage contre l’indépendance du pouvoir judiciaire et ne voient les médias que comme des instruments de propagande. En revanche, ils se trompent lorsqu’ils croient que ce lien et cette proximité font de Trump le meilleur ami d’Israël.
Si les Juifs du monde entier devaient suivre la voie tracée par Benjamin Netanyahou et Donald Trump, ils se retrouveraient dans un club mal fréquenté où les droits de l’Homme, l’Etat de droit et le pluralisme démocratique ne sont que des obstacles à la soif de pouvoir de ses membres. En tournant le dos aux fondements de la démocratie libérale, les Juifs favorables à Donald Trump oublient une chose essentielle : pour les Pères fondateurs d’Israël, les piliers universels de la démocratie libérale n’ont jamais été des options parmi d’autres. Ils n’ont jamais rejeté l’héritage universaliste de la modernité européenne. Pour s’en convaincre, il suffit de relire la Déclaration d’indépendance d’Israël et se souvenir de la présence assidue de Ben Gourion à Strasbourg au premier rang lors des assemblées du Conseil de l’Europe où il représentait Israël en tant que membre associé.