Strabismes: Tout ce qui est juif est maladroit

Noémi Garfinkel
De Moïse –dont on sait avec quasi-certitude qu’il se prenait régulièrement les pieds dans sa houltza– à mon beau-frère, qui s’est récemment cassé la main en arrangeant les coussins de son canapé, tout ce qui est juif est maladroit, c’est bien connu.
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Dans le dictionnaire français-yiddish, devant les définitions de schlemiel ET de schlemazel, on pourrait mettre une photo de mon père, votre oncle, frère ou grand-père… (les femmes semblent mystérieusement épargnées). Définition de ces deux concepts fondateurs et subtilement complémentaires : 1/ Les emmerdes, ça arrive. 2/ D’accord, mais pourquoi toujours à moi ? ou « quand le schlemiel arrose son balcon et fait tomber un pot de fleurs, le schlemazel qui passe dans la rue le reçoit sur la tête ». Le schlemiel est maladroit, pataud (sa mère formulerait positivement qu’il est psychiatre/psychanalyste) quand le schlemazel joue chroniquement de malchance parce qu’il n’est pas né sous la bonne étoile, entre autres parce qu’elle lui vient de David. On connaît tous un type qui a un jour coupé un rôti en tranches très fines avec un couteau électrique en sectionnant le fil du couteau au passage, provoquant ainsi un black-out dans tout l’immeuble (schlemiel). Ou encore un gourmand distrait qui prend la peine d’éplucher une pomme avant de la manger, mais finit quand même par manger le trognon et la peau, étiquette comprise.

On le sait bien, les juifs ne sont pas sportifs, pas manuels, et maîtrisent moins bien leur schéma corporel que des poulpes gavés de LSD. Le truc auquel ils excellent, c’est la ré-fle-xion, qui ne demande aucun outillage, aucun accessoire, rien qu’une chaise ou un tronc d’arbre (attention aux échardes cela dit). Chez les juifs, « tout ce qui est juif est maladroit » est devenu une devise identitaire, du genre de celles qui justement font réfléchir. Certains ont À coeur vaillant, rien d’impossible, ce qui non seulement a de la gueule, mais aussi aide à se projeter dans un avenir où on bricole sans risquer sa vie à chaque ouverture de tiroir. Un slogan qui fait qu’on (se) construit. Chez nous, prévaut cette espèce de malédiction, de constat résigné, de frein total à l’espoir d’améliorer un jour notre condition.  Alors embrassons notre destin : oui, nous pouvons nous couper avec une éponge ou un croûton de pain. Oui, notre offre en matière d’habilité tout terrain à nous trucider régulièrement le coude est des plus variées : interrupteur, clef sur serrure, patère murale, enfant de dix-onze ans. Ah, le fameux coup du « petit juif », qui s’appelle comme ça parce que c’est toujours sur lui qu’on tape ! D’aucuns nous accuseraient hâtivement d’antisémitisme tant nos coudes sont persécutés.

Un proverbe yiddish déconseille fortement d’habiter une ville où il n’y a pas de médecin. C’est pour ça que tant de familles juives en comptent trois par génération. Trois c’est le minimum pour qu’il en reste un au cas où le premier tomberait malade et le deuxième se casserait une jambe en lui apportant ses médicaments.

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