Shmuel T. Meyer
Nouvelles
Metropolis, 444 p.
L’ensemble se présente sous la forme extrêmement élégante d’un petit coffret de trois recueils de nouvelles, intitulés respectivement Kibboutz, The Great American Disaster et Les grands express européens. Chaque recueil est d’un petit format qui tiendrait aisément dans votre poche. Mais lecture faite, c’est bien dans leur coffret cartonné aux couleurs acidulées que ces recueils séduisent d’abord. L’auteur est né en 1957 à Paris et, essentiellement nomade, il se partage entre la France, la Suisse et Israël où il fut longtemps kibboutznik. S’il a écrit quelques romans, c’est surtout comme auteur de nouvelles qu’il est connu, dont un grand nombre furent publiées aux éditions Gallimard. Il revient ce printemps avec ces trois recueils dont les titres nous laissent d’emblée entrevoir la teneur. Elles sont différentes quant aux lieux et aux époques où elles se déroulent, mais forment un bouquet harmonieux par le ton de Shmuel Meyer, qui n’appartient qu’à lui. Commençons par le kibboutz. Shmuel ne nous balance pas un traité de géopolitique, d’histoire savante, de sociologie. De l’expérience du kibboutz, qui ne ressemble à aucune autre, il ne fait que restituer quelques très précises sensations que nous avons pu connaitre, les uns et les autres, soit parce que nous fûmes comme lui kibboutznik, soit parce que, l’espace d’un été, nous fûmes “volontaires”, soit simplement parce que nous avons partagé quelques jours cette vie communautaire en visitant des amis ou de la famille. Les petits matins au kibboutz, par exemple, sont très spécifiques. “Oranges arrachées et plumes de poulets”, “La tendresse de la nuit avant la brûlure du jour”. On n’en finirait pas de citer la narration poétique de Shmuel Meyer, sans grandes phrases, sans discours, mais la sensation est là, juste, parfois poignante. Avec le deuxième volume, nous passons du kibboutz au New York des années 50, entre l’Hudson et East River, avec l’inspecteur Saul Gantz, revenu de tout comme il se doit. Shmuel a donné à son allure un tour d’écrou supplémentaire, adoptant l’art béhavioriste des grands romanciers américains, sans psychologie excessive. Des faits, des faits, des faits. Et des cadavres qui flottent parfois bizarrement sous un pont. “Les grands express européens”, enfin, est la première nouvelle du troisième volume du triptyque, qui lui donne son titre. Ici, le style de l’auteur oscille entre celui de Simenon et de Flaubert, excusez du peu. C’est d’un grand talent, ça saute aux yeux. Rien d’étonnant si Shmuel Meyer a reçu le prix Goncourt de la nouvelle.
Les morts ne nous aiment plus
Philippe Grimbert
Grasset, 193 p.
On se souvient de l’admirable récit de l’écrivain et psychanalyste Philippe Grimbert, Un Secret (Grasset, 2004), dont Claude Miller allait s’emparer pour réaliser une belle adaptation avec Cécile de France et Patrick Bruel. Grimbert aujourd’hui nous revient avec un autre récit mené du point de vue d’un narrateur, Paul, lui-même écrivain, d’ailleurs en mal d’inspiration. Il commence par un arrêt cardiaque pratiquement sous les yeux de sa femme Irène, accident dont il réchappe. Il se trouve que notre héros donne des conférences fort courues, dont les thèmes sont précisément ce sur quoi porte sa spécialité, à savoir la mort et le deuil. Grâce désormais à une pile logée dans sa poitrine, Paul survit. Mais c’est sa femme Irène qui sombre, sans qu’on comprenne d’ailleurs très bien de quoi elle souffre. Une blessure d’enfance, croit-on comprendre. Des parents qui ont préféré la mort à l’amour de leur fille. Et lui, Paul, le spécialiste reconnu du deuil, mais de façon théorique, le voici confronté à son tour à la mort réelle d’un être cher, sa propre épouse. Qu’est-ce qu’on appelle un “deuil pathologique” et, question non moins freudienne, y a-t-il possiblement une jouissance morbide du deuil ? Nous voilà loin des propos consolants, apaisants, de Delphine Horvilleur. Nous sommes ici dans la souffrance, deuil “pathologique” ou pas, et dans la transmission d’un trauma antérieur. Tant il est vrai qu’un deuil actuel revoie le plus souvent à un deuil antérieur, enfoui et inguérissable. A moins que… A moins qu’on ait recours à la magie. Mais une magie moderne, scientifique ou plutôt technologique, et plus précisément encore numérique, qui permettrait de communiquer avec nos chers disparus, du moins leurs avatars. Tel semble être le programme qu’élabore sous nos yeux Patrick Grimbert. Comme on dit aux cartes, suivons-le. Pour voir. Science-fiction ? Peut-être pas.