Israël : la vie dans les abris

Frédérique Schillo
Eléments du paysage israélien, les abris anti-bombes se transforment en temps de guerre en précieux refuges, lieux de toutes les angoisses mais aussi théâtres de la vie ordinaire.
Partagez cette publication >

Signe des temps, la salle COVID-19 du centre médical Sheba à Ramat-Gan, près de Tel-Aviv, a été transformée en abri anti-bombes pour le service maternité. Avec la pluie de roquettes qui s’est abattue sur tout le pays durant la dernière opération à Gaza, la priorité était de trouver un abri aux mamans et à leurs nouveau-nés. A Tel-Aviv et sa région, les habitants ont une minute pour y courir, à Beersheva 45 secondes ; dans le Sud, autour de la bande de Gaza, ils disposent tout juste de 15 secondes. Imaginez ce que l’on peut faire en 15 secondes.

Les abris font partie du paysage. On les voit dans les rues, dans les jardins, et même sur les plages, comme de lourds cubes de béton échoués sur le sable. Sur les routes du Sud, ils sont intégrés à quasiment chaque abribus si bien qu’on ne sait plus très bien qui des deux était là le premier. Ces refuges en temps de guerre font tellement partie du décor israélien qu’on les retrouve dans la vie de tous les jours, réemployés à d’autres usages. Souvent reconvertis en débarras – un classique – ils se voient parfois attribuer de plus nobles fonctions : à Ashkelon, un grand abri a été reconverti en salle de gym avec des miroirs sur chaque mur. A Jérusalem les résidents du quartier de Bakaa y prennent leur cours hebdomadaire de tango yiddish. Quand les violons de Raúl Kaplún et Mario Abramovich résonnent dans la salle de danse, on oublie qu’elle servait d’abord à protéger des missiles.

Chacun cherche son miklat

Mais quand hurlent les alertes rouges des sirènes (« tseva adom »), c’est là qu’il faut se précipiter. Chacun se met alors en quête du refuge le plus proche. Ceux qui sont à l’extérieur courent se protéger dans l’abri public (miklat) près de la maison, au coin de la rue, ou dans le parc. Ceux qui sont à la maison doivent rejoindre leur pièce renforcée (heder mamad). Elles ont été mises en place après la guerre du Golfe de 1991, quand l’Irak de Saddam Hussein a tiré 
39 missiles Scud sur Tel-Aviv et les villes du Centre, faisant 91 morts et plus de 230 blessés. Désormais, toute nouvelle construction d’immeuble ou de maison a l’obligation de comporter une « safe room » avec ses murs blindés et ses gros volets métalliques qui font un bruit d’outre-tombe.

Sur 3 millions d’appartements en Israël, 63% n’ont cependant toujours pas de mamad. Et globalement, entre les immeubles anciens, les maisons privées non conformes et les habitations des zones dont l’Etat lui-même n’imaginait pas qu’elles puissent un jour se retrouver sous le feu des roquettes, on estime que 2,6 millions d’Israéliens ne sont pas protégés. Tous ceux là doivent descendre à l’abri de l’immeuble ou courir dans la rue à la recherche d’un miklat. Une course parfois mortelle. Lors des 11 jours d’affrontements avec le Hamas à Gaza, pendant lesquels 4.340 roquettes ont été tirées, 12 civils ont été tués en Israël, dont 10 atteints directement par des éclats d’obus et deux qui ont chuté mortellement en se ruant vers les abris. Le sanctuaire qu’est l’abri anti-bombes se transforme alors en pièce à vivre.

On y reste le temps d’une alerte mais parfois aussi pendant des heures et des nuits entières. Il faut y apprendre à avoir peur, à s’ennuyer, à passer du temps en famille ou avec des inconnus, à calmer les cauchemars des enfants et réussir à trouver le sommeil. Il faut y gérer la colère des uns, les crises d’hystérie des autres. A côté des bouteilles d’eau, cartons de nourriture, jeux de société, des couvertures et autres lits improvisés, les plus prévenants ont prévu des livres, voire une bibliothèque entière. La vie dans l’abri donne parfois lieu à des scènes cocasses. Comme quand une jeune femme se retrouve en serviette de bains aux côtés de son voisin de palier, un fringant octogénaire également à moitié nu, tous deux ayant été surpris sous leur douche par l’alerte rouge. Lors de la précédente opération à Gaza, en 2014, Sara Eisen, une résidente de Beit Shemesh avait eu l’idée de créer un groupe Facebook « Bomb Shelter Selfies ». « Il y a un selfie pour tout alors je me suis dis qu’il en faudrait aussi pour les abris anti-bombes », expliquait la jeune femme en partageant les portraits joyeux d’elle et de ses amies.

Depuis, d’autres images ont fleuri sur les réseaux sociaux, couples enlacés, familles unies, délires entre copains. Des images qui permettent l’espace d’un instant d’évacuer la peur terrible des tirs de roquettes. On s’amuse et on chante, tout en bénissant l’inventeur du Dôme de fer. Dans l’abri, c’est la vie qui triomphe.

S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Découvrez des articles similaires

Kahane est mort, son idéologie raciste est vivante

Meïr Kahane a été tué à New York en 1990, mais son idéologie raciste et antidémocratique lui a survécu. Elle est aujourd’hui portée par un député kahaniste élu en mars dernier après de multiples interdictions. Même si le poids électoral de ce mouvement est marginal et que son influence auprès des Juifs d’Europe est insignifiante, sa percée témoigne de la banalisation du racisme et de l’affaiblissement des forces démocratiques israéliennes.

Lire la suite »

Qui gardera les gardiens des murailles ?

<--break->Dans la nuit de jeudi à vendredi 21 mai, à deux heures, un cessez-le-feu a mis fin à l’opération « Gardiens des murailles », la quatrième conflagration majeure dans la bande de Gaza en douze ans. En voici un bilan, évidemment provisoire.

Lire la suite »
Frédérique Schillo
Frédérique Schillo
Historienne, spécialiste d’Israël et des relations internationales. Docteur en histoire contemporaine de Sciences Po Paris