Pie XII, un être humain pétri de défaut

Nicolas Zomersztajn
Suite à l’ouverture en mars dernier des archives pontificales sur le pape Pie XII, des historiens allemands ont déjà pu établir que le souverain pontife était bien informé dès septembre 1942 de la déportation des Juifs vers les centres d’extermination et des tueries de masse commises à l’Est de l’Europe.
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Ils ont donc confirmé ce que Saul Friedländer, historien israélien de la Shoah et pionnier des travaux sur Pie XII, avait déjà démontré sur base de nombreux documents américains, allemands, français, britanniques et juifs : le pape savait et avait fait le choix de demeurer silencieux face à l’extermination des Juifs d’Europe. Et lorsque les Juifs de Rome sont raflés le 16 octobre 1943 « sous les fenêtres du pape », pour être déportés à Auschwitz, il se tait alors qu’il sait depuis 1942 qu’ils sont voués à l’extermination. Il se taira aussi lorsque les Juifs de Hongrie sont déportés en masse entre avril et juillet 1944.

Si Pie XII s’est efforcé de protéger les intérêts de l’Eglise, ses choix en tant qu’autorité spirituelle et morale sont éminemment condamnables. Il exerçait un magistère sur des millions de fidèles à travers le monde. Il lui appartenait donc de prendre publiquement la parole pour leur rappeler que dans cette période trouble, ils devaient agir conformément aux enseignements des Evangiles.

Pie XII ne pouvait ignorer que le 3e Reich se souciait de l’opinion publique et modifiait sa politique lorsque la contestation prenait trop d’ampleur. Ce fut le cas en 1941, lorsque les nazis ont renoncé au retrait des crucifix des salles de classe en Allemagne suite aux protestations publiques de l’Eglise. Mais il faut surtout mentionner l’Aktion T4 d’extermination des handicapés mentaux et physiques qui a pris fin le 24 août 1941 suite aux protestations publiques de l’évêque de Münster, Mgr von Galen, dont le sermon imprimé sous forme de lettre pastorale a été lu dans les églises d’Allemagne début août 1941.

En revanche, Pie XII n’a pas hésité à briser le silence pour dénoncer publiquement les bombardements alliés sur l’Allemagne et les villes italiennes ! Ces indignations très sélectives confirment bien que ce pape avait une prédilection pour l’Allemagne que n’ont jamais entamée les monstruosités du 3e Reich. Et les quelques condamnations du nazisme qu’il a pu exprimer n’ont jamais été aussi virulentes et explicites que celles qu’il a adressées au communisme qu’il considérait comme « intrinsèquement pervers ».

Il est grand temps pour le Vatican d’abroger le décret de Benoît XVI engageant en 2009 la procédure de béatification et de canonisation de Pie XII. Il est difficile d’élever à la qualité exemplaire de saint « un être humain pétri de défaut », comme le décrivait l’écrivain catholique britannique John Cornwell dans la conclusion de son livre Le pape et Hitler (éd. Albin Michel).

La meilleure réponse du pape François serait d’ouvrir une procédure de béatification de l’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, qui a fait lire en août 1942 dans toutes les églises de son diocèse une lettre pastorale pour dénoncer en des termes très clairs la déportation des Juifs. Ce prélat, que Pie XII a maintes fois humilié après-guerre, avait notamment rappelé à ses fidèles que « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. (…) Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier ». Cette lettre a permis à de nombreux catholiques de braver l’enseignement du mépris du « peuple déicide » en sauvant des Juifs ou tout simplement en ne les dénonçant pas. N’est-ce pas cela le miracle que la Congrégation pour les causes des saints devrait mettre en évidence ?

PS : Je dédie cet éditorial à Henri Kichka qui a témoigné de l’horreur des camps nazis jusqu’à son dernier souffle.

 

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